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Pour l’AFD, le manque d’investissement des communes doit « interroger »

Un chantier de déconstruction mené par la mairie d'Arue.

L’Agence française de développement présentera ce mardi son « Observatoire des communes », qui prend le pouls chaque année des finances des 48 municipalités du fenua. Un baromètre qui montre la résilience des collectivités face à la crise Covid et à l’inflation. Mais qui pointe aussi, malgré un endettement au plus bas et une trésorerie « très confortable », le manque d’investissement des communes. Un constat qui perdure mais qui n’est « pas une fatalité » pour l’AFD, qui invite les équipes municipales à revoir la « stratégie financière ». 

L’exercice est annuel, mais à « mi-mandature », il revêt un intérêt particulier. L’Agence française de développement vient de publier la dernière édition de son Observatoire des communes, rapport dans lequel l’organisme national, qui accompagne financièrement et techniquement les collectivités polynésiennes et soutient nombre de projets publics ou privés, passe au crible les finances des 48 municipalités du fenua. Un exercice fastidieux et qui sert avant tout « d’outil d’aide à la décision » pour des dirigeants qui n’ont, hormis les rapports périodiques de la chambre territoriale des comptes, que peu d’occasions d’évaluer et de comparer leur gestion financière.

Une capacité à « absorber le choc » sur les finances

Ce nouveau rapport, qui fait le point sur les comptes 2022 et 2023, mais étend l’analyse aux années 2020 – 2023 pour concerner toute la première moitié du mandat municipal en cours, souffle le chaud et le froid sur les équipes communales. L’agence observe ainsi que les recettes réelles de fonctionnement continuent leur croissance « modérée » (+2,24% sur un an) et l’autonomie financière se renforce légèrement, grâce à des meilleures entrées de taxes touristiques notamment. L’épargne se consolide aussi, avec 3,5 milliards de francs d’autofinancement brut généré par les communes, soit 12 550 francs par habitant. « À titre d’illustration, sur 10 000 francs de recettes, et après règlement de l’ensemble de leurs dépenses de fonctionnement, les communes polynésiennes ont pu épargner 849 francs, soit 43 francs de plus qu’en 2022″, écrit l’agence.

Côté dépenses, la masse salariale des communes reste, de loin, leur premier poste en fonctionnement, avec une progression de 4,2% en un an. L’AFD souligne  aussi le niveau des subventions d’équilibre accordées aux budgets annexes (eau, assainissement, électricité), par principe proscrites par le CGCT, qui continuent d’augmenter. Elles pesaient en 2023 pas moins de 3,3 milliards de francs, dont 237 millions sont consacrés à l’électricité, principalement dans les communes des Tuamotu – Gambier. Mais le fait est que dans le contexte d’inflation galopante qu’a connu le Pays entre 2020 et 2023, la croissance globale des dépenses de fonctionnement – 4% sur la période – est plus que mesurée. Les équipes municipales prouvent leur capacité à « absorber le choc » comme l’écrit la directrice de l’antenne polynésienne de l’agence, Mounia Ait Ofkir.

Stratégie financière à revoir

L’AFD observe surtout que la période 2020 – 2023 « se caractérise par une contraction assez marquée des dépenses d’investissements et de l’effort d’équipements ». 11,3 milliards de francs investis en 2023, c’est 350 millions de moins que l’année précédente et près d’un milliard de francs de moins qu’en 2020. Ce « ralentissement post-électoral » n’est pas inhabituel, notent les observateurs, et il est forcément renforcé par les blocages de la crise Covid, « qui a profondément marqué les communes » et les bonds de l’inflation, notamment sur le fret et les matériaux, qui ont suivi.

Résultat : fin 2023, les communes affichaient des fonds de roulement (149 jours de dépenses budgétaires en moyenne) et une trésorerie (18,6 milliards) « plus que confortables » et un endettement très bas. Le recours au crédit n’a cessé de baisser (-24% sur la période 2020 – 2023), pour atteindre un niveau de dette global de 12,6% des municipalités, soit 18 410 francs en moyenne par habitant. En comparaison, les communes métropolitaines sont en moyenne endettées à hauteur de 73,6%, les régions et les intercommunalités l’étant encore davantage.

L’AFD connait la situation polynésienne sur le bout des doigts : sur les 5,21 milliards de francs d’encours de dette des communes à fin 2023, l’agence nationale, aussi créancière du Pays à hauteur de 88 milliards de francs, en détient 70%. Et son observatoire n’a cessé, depuis sa création, d’insister sur les « marges de manœuvres importantes » des municipalités. L’agence écrit même, cette année, que ces réticences ou difficultés à investir ont de quoi « interroger ». « Ces chiffres démontrent l’importance de développer davantage de stratégie financière pour soutenir un rythme d’investissement porté par un recours au crédit optimal, écrit l’AFD. En puisant raisonnablement dans leurs fonds de roulement et en empruntant davantage et de manière plus stratégique, les communes – à proportion de leur capacité – ont en main le pouvoir d’ouvrir un nouveau cycle vertueux. »

« Pas une fatalité »

L’agence ne semble pas désespérer et estime qu’après un début de mandat forcément compliqué vu la crise sanitaire et les territoriales, les dernières années avant le scrutin municipal de 2026 pourraient être « plus dynamiques », grâce à la conjugaison de « nouvelles ressources », comme le Fonds de transition énergétique de l’État, et de « nouvelles formes de mutualisation ». Le développement des communautés de communes et des établissements publics locaux doivent en effet permettre de « démultiplier les capacités » d’investissement, notamment en matière de transition énergétique, d’amélioration des services publics – de l’eau et de l’assainissement en particulier – de préservation de l’environnement ou d’adaptations aux changements climatiques.

Devant les tavana et cadres techniques des communes, ce mardi matin, la directrice de l’AFD Mounia Ait Ofkir devrait donc insister sur l’idée qu’elle développe en introduction de ce rapport : « cette faible dynamique de l’investissement n’est pas une fatalité. Les communes ont, à leur portée, des capacités d’action. » Et de rappeler que l’agence nationale, au travers ses  subventions d’études, ses préfinancements de subventions, ou ses prêts long terme, dispose d’une « gamme d’outils complète » pour aider les collectivités polynésienne à investir. Elle n’est d’ailleurs pas le seul interlocuteur public pour les questions de financement, puisque la Banque des territoires est depuis 2021 présente au fenua, et propose sa propre « gamme » d’outils financiers, qui semblent déjà intéresser le Pays.