Facebook amplifie notre besoin fou d’exister dans le regard des autres. Et s’il n’est pas assouvi, ce besoin peut conduire certains internautes chez le psy.
Publier un statut sur Facebook. Et attendre fébrilement son premier like. Que celui qui n’a jamais vécu cette situation nous jette la première pierre. Car le fonctionnement même de Facebook, bien plus que des autres réseaux sociaux, repose sur cette course effrénée aux likes. Si bien que de nombreux internautes y sont aujourd’hui devenus accros. Des psychanalystes confient en effet recevoir dans leur cabinet de plus de plus de personnes souffrant de cette “addiction comportementale”.
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Le « moi » au cœur du système Facebook. Depuis sa création, Facebook repose sur un système mettant en avant des contenus les plus susceptibles de générer des likes. Baptisé « EdgeRank », l’algorithme du réseau social comprend plus de 100.000 paramètres, qui masque les contenus “peu prometteurs” en likes. « La logique de fil d’actualité implique ainsi, pour exister, de devoir faire la Une de ses amis », note Alexandre des Isnards, coauteur avec Thomas Zuber de Facebook m’a tuer (Nil).
En ce sens, Facebook entretient l’idée de devoir se montrer pour exister. “Facebook amplifie ce besoin fou d’exister dans le regard des autres. Un besoin propre à l’adolescence, mais qui se répand à l’ensemble de la population, donc auprès des adultes”, observe le psychanalyste Michael Stora, cofondateur de l’Observatoire des mondes numériques en sciences humaines.
Un désir de voyeurisme assouvi. Facebook assouvit également nos désirs voyeuristes, analyse le Dr Éric Charles, psychiatre à l’hôpital Esquirol de Limoges, qui a supervisé une étude sur les addictions liées à Facebook. “La nature humaine est faite ainsi : les gens prennent plaisir à regarder par le trou de la serrure, ils aiment rentrer dans l’intimité des gens. Et Facebook c’est exactement ça : une ouverture sur la vie des autres”, constate le spécialiste.
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Un système qui repose notamment sur la base de la réciprocité : je regarde les statuts des autres et j’en poste sur moi ; je like les contenus de mes amis et ils me likent. “Cet exhibitionnisme implique un retour sur investissement, c’est-à-dire une volonté de recueillir un maximum de likes, un maximum de commentaires”, abonde le psychanalyste Michael Stora.
Le culte du commun. Pour assouvir cette course aux likes, les utilisateurs de Facebook vont donc produire un maximum de contenus et se mettre en scène de manière parfois excessive. “Dans ce cas, le quantitatif va primer sur le qualitatif”, constate Michael Stora. Concernant le type de contenu publié, il faut qu’il soit le plus commun possible, pour toucher un maximum de personnes.
“Sur Facebook, on ne met pas en avant son œuvre ou sa créativité. On essaie juste d’être comme tout le monde, de montrer des photos de son chat, de ses vacances, de son couple, etc. Et c’est cette grande superficialité qui rend dépendant”, constate Eric Charles, qui a soigné plusieurs patients accros à Facebook.
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Car cette dépendance est toute particulière au réseau social. Facebook propose une uniformisation de notre individualité. Il n’y a pas de choix de police, ni de caractère ou de couleur pour personnaliser sa page”, remarque Michael Stora.
L’absence de like, « une blessure narcissique profonde ». Et dans cet univers homogène – à la police noire et au bandeau blanc et bleu – un seul élément se distingue des autres : les notifications, qui, elles, apparaissent en rouge vif. Une couleur qui évoque la passion et la puissance. Et qui stimule le cerveau des utilisateurs. « Lorsque vous publiez une photo, un statut, un commentaire, une sécrétion initiale de dopamine a lieu par anticipation », explique le spécialiste.
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Et c’est donc cet “émoi” lors de la publication d’un post que l’internaute va tenter insatiablement de retrouver. Sauf que cette course aux likes engendre bien souvent des déçus. “Les gens deviennent accros aux likes de Facebook. C’est une course à l’audimat de l’intime. Et si l’audimat baisse, ça crée une blessure narcissique profonde”, poursuit Michael Stora. Une blessure accentuée en voyant que les publications des autres génèrent davantage de likes que les nôtres. “A force de voir autant de bonheur, ça peut avoir des effets dépressogènes, comme les célibataires qui dépriment le jour de la Saint-Valentin. Avec Facebook, on s’aperçoit que sa vie n’est pas forcément idéale. Et le contraste entre la vie réelle et la vie sur Facebook peut créer une déprime”, explique le psychanalyste.
Dépression et perte de contact avec la réalité. Éric Charles, psychiatre à l’hôpital Esquirol de Limoges, reçoit de plus en plus de patients qui souffrent d’une addiction liée à Facebook. Selon lui, certains d’entre eux traversent même une dépression. “Le risque de dépression lié à Facebook existe. Les individus qui en souffrent vont perdre contact avec la réalité et avec leurs amis. Ils rentrent dans un système où tout tourne autour de Facebook. Tout ce qu’ils font, ils vont le faire en pensant aux likes que cela va leur apporter sur Facebook. Donc même dans leurs moments ‘réels’, ils ne sont pas présents. Cela va se voir dans leur vie quotidienne : les personnes vont s’isoler, les conflits dans le couple seront plus nombreux, certains vont abandonner leur rôle de père ou de mère”, constate le psychiatre, auteur du livre La dépression pour les nuls.
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Selon son étude, réalisée auprès de 517 utilisateurs de Facebook, âgés essentiellement de 18 à 36 ans et étudiants, 4,5% des Français seraient accros à Facebook, passant entre deux à trois heures par jour sur le réseau social. Le spécialiste conseille donc à ses patients un sevrage complet de Facebook et ce pendant plusieurs mois. Objectif : retrouver une utilisation mesurée du réseau social et se réapproprier sa vie. Et de conclure : “si l’usage de Facebook est mesuré, cela peut être très bénéfique pour les utilisateurs. Chez les adolescents par exemple, à l’image des chaîne YouTube et des comptes Instagram, un usage modéré peut les pousser à un dépassement de soi, dans l’humour, la créativité, la réactivité, qui est bénéfique”.