Paris (AFP) – Son placement sous bracelet électronique n’a pas empêché Adel Kermiche d’agir: au lendemain de l’assassinat d’un prêtre à l’église Saint-Etienne-du-Rouvray, le rôle de la justice et de la libération conditionnelle de détenus dans les dossiers terroristes fait débat.
Comment un individu « sous contrôle judiciaire pour avoir essayé d’aller faire le jihad en Syrie » a-t-il été laissé libre « de commettre un tel attentat ? (…) Le gouvernement devra répondre à la question », a réagi mercredi Nicolas Sarkozy sur le site du Monde.
Côté policier, le syndicat Alliance (majoritaire) a appelé à en finir « avec cette possibilité qui est donnée de libérer pendant sa détention provisoire tout individu mis en examen pour un quelconque lien avec le terrorisme et connu des services de renseignement ».
En réponse, le porte-parole du gouvernement, Stéphane le Foll, s’est prononcé mercredi en faveur d’une « évaluation » du dispositif de la surveillance électronique en rappelant, sans le nommer, que Nicolas Sarkozy considérait, il y a peu, le bracelet comme « une des solutions à appliquer à tous les fichés +S+ ».
Incarcéré après deux tentatives pour se rendre en Syrie, Adel Kermiche avait été remis en liberté et placé sous surveillance électronique dans l’attente de son procès par un juge antiterroriste. Le parquet avait fait appel mais la Chambre de l’instruction, qui contrôle le travail des magistrats enquêteurs, avait confirmé la décision du juge.
Le contrôle judiciaire imposé à Kermiche lui imposait notamment de résider au domicile familial avec un droit de sortir du lundi au vendredi de 08H30 à 12H30 et samedi, dimanche et jours fériés de 14H00 à 18H00 avec interdiction de quitter le département.
Selon une source proche du dossier, Kermiche a assuré à la magistrate regretter ses tentatives de départ, affirmant ne pas être un islamiste radicalisé et évoquant des projets professionnels. Pour la juge, le jeune homme avait « pris conscience de ses erreurs ».
– « Un choix politique » –
Aujourd’hui, seuls sept prévenus (en attente de jugement) et six condamnés dans des dossiers terroristes bénéficient d’une libération conditionnelle avec bracelet électronique. Sur les 285 mis en examen dans des dossiers terroristes, 264 sont en détention, soit 93%, contre 20% dans les affaires de droit commun.
La surveillance du détenu s’opère le plus souvent par un boîtier installé à son domicile, relié à une alarme qui avertit l’administration pénitentiaire s’il n’est pas présent chez lui aux heures imposées par le juge.
Il existe aussi un dispositif de surveillance électronique mobile, accessible aux détenus passibles de plus de sept ans de prison et d’un suivi socio-judiciaire, qui contrôle leurs déplacements dans un périmètre donné. « Mais ce système compliqué, cher et chronophage est peu utilisé », a expliqué à l’AFP un magistrat pour qui cela n’empêchera pas un passage à l’acte.
« On ne peut pas dire qu’il n’y a pas eu de problème dans ce dossier mais il est facile de juger quand on connaît la fin de l’histoire », souligne Virginie Duval, présidente de l’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire).
« Ce sont des magistrats spécialisés qui ont pris la décision et ils sont habitués au double discours des islamistes. Mais on n’est pas dans la tête des gens », dit-elle.
« Si on supprime les alternatives à l’incarcération, contrôle judiciaire et surveillance électronique, on n’aura plus le choix qu’entre liberté ou détention provisoire », insiste la syndicaliste.
« Et il faut rappeler qu’en la matière, le principe c’est la liberté, et la détention l’exception. Vouloir l’inverser en considérant que tous les prévenus terroristes doivent être incarcérés impliquerait de modifier la Constitution et de rompre avec nos engagements européens. C’est un choix politique », insiste-t-elle.
« La dernière loi sur l’état d’urgence a déjà exclu les condamnés pour terrorisme des bénéfices des aménagements de peine », rappelle Clarisse Taron, présidente du Syndicat de la magistrature (SM, gauche), pour qui vouloir étendre la mesure aux prévenus pose un problème fondamental de droit.
Selon elle, « ce serait une faute pour un juge de garder en détention une personne présumée innocente qui remplirait les critères » légaux visant à garantir le bon déroulement de l’enquête et du procès.
© AFP CHARLY TRIBALLEAU
Des fleurs ont été déposées devant l’église où le père Jacques Hamel a été égorgé, le 27 juillet 2016