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Prison ferme pour les « remorqueurs » d’ice

Cinq hommes reconnus coupables d’un trafic d’ice en provenance des États-Unis, dont trois sont en récidive, ont écopé de peines allant de trois à six ans de prison, ce mardi. Tous en difficulté financière, ils avaient participé à l’importation de près d’un kilo et demi de drogue, dans une remorque expédiée par voie maritime. L’un d’entre eux s’était aussi mis d’accord avec un trafiquant de renom, « Kikilove », pour faire la « mule » pour 11 grammes de plus… Qui ont permis aux douaniers de mettre en lumière tout le trafic.  

En mars dernier, le parquet de Papeete s’était félicité d’un vaste coup de filet dans le milieu de l’ice. Cinq personnes avaient été placées en détention provisoire, après la découverte d’un kilo et demi de méthamphétamine dissimulé dans une remorque, acheminée en bateau, depuis les États-Unis. Les investigations avaient permis de déterminer avec précision le rôle de chacun dans cette histoire, qui prend sa source quelques mois avant la saisie des douanes.

Ce mardi au tribunal correctionnel, deux d’entre eux comparaissent détenus. Adrien Tehotu est le premier à s’expliquer. « Ça commence à faire beaucoup », remarque le président à la lecture du casier judiciaire, notamment marqué par une condamnation à quatre ans et deux mois de prison ferme pour des faits similaire. Jugé pour 11 chefs d’accusation, dont association de malfaiteurs, importation et trafic de stupéfiants en récidive, il est celui qui a tissé les liens et acheté la drogue, mais n’est pas le cerveau de l’affaire.

L’initiateur de la combine se désiste, ils y vont quand même

La graine avait germé dans l’esprit d’un certain P. – pas nommé au tribunal – associé à l’un des prévenus, Hartmut Schreyer, qui comparait sous contrôle judiciaire. Cet Allemand de 68 ans, vierge de tout casier, est installé depuis plus de quatre décennies au fenua. Une vie familiale et d’entrepreunariat dans l’environnement et le tourisme, faite de hauts et de bas. Le dernier en date, la perte de son bateau, l’a mis sur la paille.

Englué dans un « tel stress financier » il s’est laissé embarquer dans cette histoire par Monsieur P., qui lui a proposé un « coup » aux États-Unis, en association avec Adrien Tehotu. Doté de connections dans l’import-export, Hartmut Schreyer s’était vu confier l’aspect logistique du trafic. Il avait pour mission de trouver une remorque et de la faire expédier à Tahiti, garnie de métamphétamine préalablement achetée par ses comparses. À la clef, une part conséquente sur le produit de la revente, estimé à plus de 100 000 francs le gramme.

L’histoire aurait pu s’arrêter au bout de quelques jours, avec le désistement soudain de P., peut-être poussé par une prise de conscience salvatrice, ou par le flaire du mauvais coup. Mais malgré la perte de leur principal complice, les deux larrons restants ont décidé de maintenir l’opération. « Une bêtise énorme, une décision fatale », reconnait l’Allemand.

L’investisseur tente de revenir sur ses aveux

Restait à trouver un investisseur, et un interprète prêt à accompagner Adrien Tehotu sur la « West Coast ». Yann Tahi, son ancien codétenu, est alors contacté, pour ses supposées compétences en anglais. Cet homme de 44 ans, passé par la case prison pour des violences et du trafic de stupéfiants, reconnait les faits. Criblé de dettes, déchu de son autorité parentale sur ses cinq enfants, il s’est laissé tenter, lui aussi par l’appât du gain. « Je ne savais rien de concret, je n’avais rien d’autre à faire que traduire, André m’a dit que tout était financé ».

Cet argent et les billets d’avion, c’est Steve Louis qui les a fournis. Lui aussi en délicatesse avec les banques, cet entrepreneur est le seul des prévenus à nier. Il explique avoir « fait confiance » à Adrien Tehotu, qu’il employait régulièrement comme mécanicien dans son garage. « Je lui ai donné 6 000 dollars pour des pièces de voiture qu’il devait me rapporter, et 4 000 d’argent de poche qu’il devait me rendre plus tard, en espèce ou en travaillant pour moi ». Le financement des deux billets d’avion ? « Adrien m’a dit que Yann était son cousin, et qu’il s’y connaissait très bien en pièces américaines ». S’il évoque « un doute » quant aux réelles intentions du duo, il nie formellement être l’investisseur d’un trafic d’ice. Des déclarations en totale contradiction avec les explications de ses coprévenus, et surtout à l’opposé de ses aveux lors des auditions. « Je savais qu’il allait ramener des produits, j’ai prêté 600 000 et j’attendais 1,2 million en retour », avait-il dit aux douaniers. Au tribunal, il justifie son rétropédalage par « la pression de la garde à vue ».

Faux interprète, vraie mule

Cet apport financier en poche, les deux anciens codétenus s’étaient tranquillement envolés pour le pays de l’oncle Sam. Après s’être rendu compte que Yann ne parle pas si bien l’anglais – il avait noté plusieurs phrases déjà traduites dans un cahier -, ils sont parvenus à dénicher de l’ice grâce à l’entremise d’un chauffeur de taxi francophone. Près d’un kilo et demi, en deux achats, avec l’espoir de revendre le tout pour, au bas mot, 150 millions de francs.

Arrivé à son tour sur place, Hartmut Schreyer a découvert un duo en perdition. Adrien avait testé le produit et « n’était pas dans un état normal ». Yann restait passif. Le spécialiste import-export de la bande a donc pris les choses en main, en trouvant la remorque et déniché un hôtel. Avant d’envoyer le véhicule en transit, une fois la drogue dissimulée dans la flèche de la remorque. Devait alors commençait une attente de plusieurs semaines, avant la réception du conteneur au port de Papeete.

Déjà contrôlés côté américain, les trois hommes avaient tout de même pu embarquer… Pour finalement être arrêtés à leur descente de l’avion à Faa’a, en tout cas pour ce qui est de Yann Tahi et Adrien Tehotu. Les douaniers, interpellé par leur profil et leur passé, n’ont pas tardé à détecter la drogue dissimulée « in corpore » chez le premier. La « mule » avait monté, à l’insu de ses complices, une petite combine parallèle avec un trafiquant de renom, André Tinirauarii.

Des « débutants » punis comme des « grands »

Plus connu sous le nom de « Kikilove »,  il avait été condamné à huit ans de prison en 2018 pour un vaste trafic de stupéfiants, avant d’être libéré au bout de cinq. De retour en détention depuis son interpellation en mars dernier, il raconte au tribunal « être à part dans ce dossier-là, qui concerne des débutants qui ont voulu jouer aux grands des stups». Il explique avoir été contacté par Yann Tahi, qui avait besoin d’un peu de cash pour son voyage aux États-Unis. En échange de 270 000 francs, celui-ci devait lui rapporter 120 grammes d’ice, dissimulées dans son rectum. Mais « comme 120, c’est difficile », Yann Tahi n’avait pu s’en insérer que 11, dans des ballons de baudruche, faute d’avoir trouvé des préservatifs, malgré les consignes préalables de son associé. Onze grammes, c’était suffisant pour se faire pincer à la douane. Et permettre aux enquêteurs de faire passer Adrien Tehotu à table. La remorque métamphétaminée était donc attendue par les autorités avant même son arrivée.

Le tribunal a finalement condamné Adrien Tehotu à six ans de prison ferme, Yann Tahi à trois ans, dans la lignée des réquisitions du procureur, Hartmut Schreyer à quatre ans, Steve Louis à trois ans, comme André « Kikilove » Tinirauarii, avec maintien en détention ou mandat de dépôt selon les cas. Les quatre premiers cités devront en outre s’acquitter solidairement d’une amende douanière fixée à 139,8 millions de francs, là où le représentant des douanes estimait la valeur marchande de l’ice saisie à 231 millions de francs. Yann Tahi et André Tinirauarii devront aussi payer 1,1 million de francs d’amende.

 

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