Éliane Tevahitua a interpellé le gouvernement, ce matin, sur une étude de l’ISPF évoquant le chiffre de
102 000 nouveaux arrivants au fenua pour compenser le vieillissement de la population. De la « propagande néocolonialiste » pour l’élue Tavini. Une polémique aux relents « racistes » a rétorqué Édouard Fritch, assurant que le Pays n’a jamais eu l’intention de favoriser une « immigration massive ».
Parue à la mi-août, l’étude au centre de cet échange dessine des tendances démographiques en Polynésie à l’horizon 2030. Comme nous l’expliquions lors de sa publication, l’Institut de la statistique de Polynésie Française, y entrevoit une stagnation de la population autour de 284 000 habitants dans une décennie. Surtout, l’ISPF interpelle sur l’évolution de la pyramide des âges : moins de jeunes, plus de seniors, de quoi « engendrer une évolution forte des rapports de dépendance ». Des projections « intéressantes » concède Éliane Tevahitua, qui dénonce tout de même « une approche binaire réductrice qui consiste à opposer entre elles des classes d’âge ». Mais l’élue du parti bleu ciel a surtout relevé un paragraphe du rapport, qui chiffre, en l’absence d’évolution de la natalité en Polynésie, à 102 000 personnes le besoin d’immigration pour maintenir les équilibres démographiques en 2030. Soit 8 500 arrivées supplémentaires par an.
Une telle immigration reviendrait à faire venir « 35% de la population » du fenua, ce qui équivaudrait, à l’échelle nationale à proposer l’arrivée de « 25 millions d’immigrés en une décennie », calcule Éliane Tevahitua. L’élue Tavini pointe que les jeunes Polynésiens, « même diplômés », ont aujourd’hui du mal à se pourvoir en travail et en logement. Et, visant au passage le directeur « expatrié » de l’ISPF, elle interroge le président du gouvernement : « Cautionnez-vous cette propagande néocolonialiste émanant de l’ISPF, un établissement public, visant à faire de notre pays une colonie de peuplement ? » Une référence à la politique longtemps appliquée par la France en Nouvelle-Calédonie. Et qui avait, comme l’a écrit le premier ministre Pierre Messmer dans les années 70, entre autres objectifs « d’éviter le danger de la revendication nationaliste », rappelle la représentante Tavini.
« Vous êtes dans un combat anti-Blancs, anti-Français »
Des mots forts, auxquels le président Édouard Fritch répond d’abord en recontextualisant l’étude. Comme prenait soin de le préciser l’ISPF, les projections démographiques sont « les images d’un futur possible », mais pas « des prédictions d’avenir ». Et si l’institut pose des hypothèses ce seront bien les politiques publiques qui « dicteront les orientations réelles ». Mi-août le directeur de l’ISPF expliquait effectivement, au micro de Radio1, que ces simulations sur l’immigration, qualifiées « d’improbables », n’avaient pour autres buts que de montrer que le déséquilibre des rapports de dépendances était « inéluctable » et « qu’il fallait donc s’y préparer ». Le président tient à rassurer : « Il n’est pas dans les intentions du gouvernement de favoriser une immigration massive, d’autant que de nombreux jeunes peinent à s’insérer dans l’emploi ».
Voilà pour la réponse formelle. Mais Édouard Fritch, visiblement échaudé par la question, mène la contre-attaque. Et pointe que c’est son gouvernement qui a fini par faire voter une loi sur la protection l’emploi locale, critiquée par le Tavini car pas assez protectrice. « Je ne veux pas que cette préoccupation devienne un combat anti-français, je ne veux pas paraître comme un pays de racistes », assène le leader du Tapura, « préoccupé par cet état d’esprit raciste qui se développe chez nous « . « On a connu l’anti-Chinois, aujourd’hui, c’est l’anti-Farani à tout va » pointe-t-il. Pour le président, l’interpellation d’Éliane Tevahitua ne serait qu’une « polémique » symptomatique des « obsessions » du Tavini. « Vous êtes anti-Français, lance-t-il. J’ai le fort sentiment que vous êtes dans un combat primaire anti-blancs, anti-Français tous azimuts, qui n’a rien à voir avec les préoccupations d’ordre économique et sociale« .
Le leader du Tapura, explique en outre qu’il « y a des besoins dans certaines catégories professionnelles auxquels on ne peut pas répondre ». Et se montre volontiers narquois : « Vous avez montré l’exemple, lance-t-il vers les bancs du Tavini. Vous faites venir des avocats [de métropole] pour défendre des basanés, des ma’ohi ».
Une contre-offensive à laquelle Éliane Tevahitua a tenu à répondre, à la sortie de l’assemblée. « Vouloir que son pays, un jour soit démocratiquement indépendant, est ce que c’est être raciste ? Pas du tout », rétorque-t-elle, insistant sur le fait que le Tavini n’a « aucune intention de rejeter les métropolitains qui sont ici ». En revanche le parti bleu ciel « veillera bien » à ce que l’idée d’une favorisation de « l’immigration massive » ne soit jamais mise en pratique au fenua.