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Quand la « révolution » climatique se discute une bière à la main

La soirée « Le climat se met en scène », organisée par le Pays samedi soir, a attiré une petite centaine de personnes à la brasserie Hoa. Au milieu des échanges sur la transition écologique ou énergétique, un constat amer : des citoyens aux chefs d’entreprises en passant par les élus, peu de gens en Polynésie sont conscients de la teneur des efforts à fournir pour répondre à l’urgence climatique. 

Ils étaient une centaine à avoir bravé la pluie, samedi, pour venir se sécher à la brasserie Hoa. Dans le grand bar de Fare Ute, ce soir là, la scène et ses abords accueillent des musiciens, une peintre, une troupe d’improvisation… Du balcon à la terrasse, les discussions sont animées autour d’une pinte ou d’un « mocktail »… Rien qui, d’apparence, sorte de l’ordinaire pour ce lieu qui s’efforce, depuis son ouverture en 2021, à mêler fête et culture. Cette soirée, pourtant, avait de particulier son organisateur : le Pays, et plus précisément son ex-service de l’énergie, qui, sous la houlette du ministère des Finances, a tout récemment gagné le titre de « direction polynésienne ».

« En scène pour le climat », voilà le nom de la soirée. Un rendez-vous adressé à ceux qui voulaient « échanger et construire le fenua de demain ». « L’idée c’était de toucher un nouveau public, qui n’est pas forcément intéressé par les discussions habituelles sur la transition énergétique, qu’on ne voit pas dans les amphithéâtres ou les réunions plénières… ceux qui sont un peu plus éloignés du sujet », explique Baptiste Sureau, le coordinateur du plan climat, un brin déçu que la météo n’ait pas été du côté de cette « première ». Le résultat est en demi-teinte : la grande salle était très loin d’être vide samedi, mais on reconnaissait, à table, beaucoup de têtes connues des réunions associatives ou gouvernementales. Pas de quoi empêcher l’échange d’avoir lieu. Entre les participants, bien sûr, mais aussi avec les artistes, chacun ayant tenté – y compris la troupe des Improsak, malgré des thèmes de jeu « un peu casse-gueule » – de mêler les sujets du climat et de l’énergie dans sa prestation. Avec, surtout, le panel de spécialistes qui a animé en milieu de soirée une table ronde et un question-réponse sur « les défis de la transition ».

La faute à qui ?

Transport, alimentation, avenir des îles basses, justice climatique, innovation ou « habitabilité de la Terre »… Le sujet est vaste, les prises de paroles des quatre intervenants, représentant le monde associatif, économique, scientifique ou médiatique, sont souvent directes. Tout le monde, sur scène comme au bar, appelle de ses vœux des actions rapides, concrètes et ambitieuses, mais certains désaccord de fond se font tout de même entendre dans la discussion. Notamment sur les questions de responsabilités, entre les « grands » et « petits » pays du monde, entre les acteurs de la société qu’ils soient politiques, citoyens pauvres ou aisés, grandes ou petites entreprises… Un débat dans le débat que Paul Mauger, ancien ingénieur aéronautique reconverti dans la recherche climatique, a voulu remettre à sa place. « Le débat de comptabilité, il est sans fin, on va toujours chercher à revenir le plus loin possible dans l’histoire, à tenir compte de la population, des émissions de chaque type d’individus… s’agace le doctorant de l’UPF, qui fait aussi partie du comité scientifique du plan climat. Au bout d’un moment, ça n’est pas possible, on doit agir maintenant. On connait les solutions technologiques, les autres types de solutions… Il faut juste les mettre en œuvre ». 

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90 actions à préciser et à chiffrer

Certaines de ces « solutions » ont été évoquées, ce samedi soir, entre deux tournées. Il y a bien sûr les initiatives locales, les innovations technologiques, et autres nouvelles organisations, qui mettent, chaque jour un peu plus, les communautés sur la voie d’un avenir moins carboné. Mais parmi ce public en grande partie connaisseur, on ne se le cache pas, de la fiscalité dédiée aux mobilités douces, en passant par les contraintes règlementaires, des « efforts » importants sur le mode de vie ou l’activité économique devront quoiqu’il arrive être consentis. Du moins si le fenua compte aller au bout de son « Plan climat ». Un grand chantier lancé par le Pays en 2022, dans la lignée du « plan Climat – Energie » de 2015, qui n’a pas permis de faire baisser les émissions de gaz à effet de serre du fenua. 11 tonnes d’équivalent carbone par an et par habitant en 2022, soit une empreinte légèrement plus forte qu’en métropole, que la nouvelle feuille de route entend faire baisser de moitié d’ici 2030. Après un passage à vide dû aux territoriales et à l’alternance gouvernementale, l’objectif, très ambitieux, a été confirmé en septembre par un comité de pilotage. Les travaux sont désormais « opérationnels ».

Ainsi, mardi dernier, des représentants institutionnels, économiques ou de la société civile étaient réunis pour « s’approprier » la démarche et préciser les idées déjà mises en forme ces derniers mois. « C’est pas un plan climat du Pays qui s’impose à tous les acteurs, on veut vraiment que tout le monde propose des actions et les porte, reprend le coordinateur de ces travaux, Baptiste Sureau, en lien à la fois avec les directions du Pays et leurs techniciens, et les acteurs extérieurs. Il y a en gros 90 actions qui ont émergé, maintenant, on va travailler en petit groupe pour fixer les priorités du plan final, pour dire qui pilote, qui finance ces actions, et comment on s’organise pour la suite ».

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Objectif du ministère des Finances et de l’Énergie, qui chapeaute le chantier : pouvoir présenter aux élus une première version de ce plan au premier trimestre de l’année prochaine. D’ici là, certains aimeraient que des initiatives comme cette « Soirée climat » se répètent, et attirent davantage. Car de l’avis général, beaucoup au fenua, ne sont pas conscient de l’urgence climatique et de la teneur des efforts à consentir pour y répondre. « Il faudra faire une petite révolution pour arriver à quelque chose », résume un participant, une bière à la main.