C’est une affaire de trafic d’ice et de cannabis qui a occupé toute la matinée juge et assesseurs. Une petite affaire, bien loin des dossiers qu’a pu connaître le tribunal de Papeete, mais qui a toutefois le mérite de montrer à quel point certaines personnes, qui n’ont jamais eu affaire à la justice, n’hésitent plus à se lancer dans le trafic de stupéfiants pour subvenir aux besoins de leur famille.
S’il n’y avait qu’une seule phrase à retenir de cette audience, c’est : « j’ai fait cela pour arrondir les fins de mois. » Certes ce n’est pas une excuse, mais c’est une raison et une phrase que l’on entend de plus en plus dans les prétoires. Car il faut se rendre à l’évidence qu’à Tahiti, avec un Smic, un loyer, une famille à charge, à la fin du mois il ne vous reste que les yeux pour pleurer s’il vous reste des larmes.
Sur les cinq prévenus, entre trente et quarante ans d’âge, quatre ont un emploi. Deux sont chauffeurs-livreurs, un est magasinier et le plus jeune travaille avec sa grand-mère pour confectionner des sushis. Les quatre ont un casier judiciaire vierge et, autre point commun, ils ont du mal à boucler les fins de mois. Seul celui considéré comme le boss et surnommé dans son quartier « Patron », est sans emploi et a un casier entaché de coups et blessures et de trafic de stups.
Sur les cinq prévenus quatre sont diplômés
À noter aussi que ce ne sont pas des sans cerveaux, puisque bac technique et même licence font partie de leur bagage. La parole est claire, relativement assurée et tous ont fait leur mea culpa, signé à la Croix-bleue et entrepris d’aller d’eux-mêmes voir un psychologue et se désintoxiquer. Du moins pour ceux qui étaient placés sous contrôle judiciaire. « Patron », le seul a être en détention provisoire, n’a pas eu besoin de signer la Croix-bleue ni de se désintoxiquer puisqu’il ne consomme plus de drogue depuis trois ans, mais « j’ai continué à dealer car plus de travail et deux enfants à charge, il faut les nourrir. »
« Patron », taillé tout d’un bloc à un point tel que le gendarme qui l’escortait a eu du mal à refermer ses menottes sur les poignets du mastodonte, est le personnage central de cette affaire dévoilée en 2020. C’est autour de lui que gravitaient les quatre autres prévenus, qui venaient soit se fournir chez lui en ice et paka, ou rabattre d’éventuels clients et au passage prendre de quoi consommer. Car s’ils se sont mis à consommer du paka sur le tard, ils n’ont pas mis longtemps pour se mettre à l’ice et s’y complaire. De temps à autres il leur arrivait aussi de vendre pour le compte de Patron.
Trois millions de bénéfice sur un an
Ici on est bien loin des sommes brassés dans les affaires Kikilove ou Sarah Nui. On estime à trois millions les bénéfices retirés par « Patron » et cela sur un an de business. Quant aux autres, c’est surtout pour alimenter leur consommation qu’ils se sont acoquinés avec Patron et s’ils pouvaient se faire un petit billet sur les transactions, ils ne crachaient pas dessus. Pas de commerce de gros comme dans les autres affaires, juste quelques sachets d’ice, et quelques pots d’ice-cream bourrés de paka qu’ils détaillaient en stick pour la revente.
A la barre, tous reconnaissent les faits et assument, jurant qu’on ne les y reprendraient plus. « J’assume ce que j’ai fait et je regrette d’avoir mis des familles dans la merde, je suis au centre de tout cela », affirme Patron d’une voix caverneuse.
La procureure dans son réquisitoire a estimé « exécrable» les agissements des prévenus qui, « à part Patron, gagnent leur vie » et a réclamé à leur encontre des peines allant de 2 ans de prison avec un an de sursis, à quatre ans avec trois ans de sursis et quatre ans ferme pour Patron.
« La justice doit sanctionner, mais aussi réinsérer »
Du coté de la défense ont s’est employé à démontrer que les prévenus « n’avaient pas la carrure de délinquants chevronnés », que « la justice doit sanctionner, mais aussi réinsérer » et que « le bénéfice tiré de ce trafic est minime, pas de voiture de luxe ni de produit de luxe, tous les bénéfices sont partis en nourriture. »
Après en avoir délibéré, les prévenus ont été condamnés à des peines allant de 18 mois de prison avec sursis à trois ans dont deux ans de sursis. Des peines qu’ils pourront effectuer à domicile sous surveillance électronique. Seul Patron s’est vu infliger trois ans de prison ferme avec maintien en détention.