L’appel d’offre est lancé concernant l’étude de programmation scénographique et architecturale d’un centre de mémoire des expérimentations nucléaires en Polynésie française. Si la forme semble désormais arrêtée, qu’en est-il vraiment concernant le contenu ? Que va-t-on trouver dans ce mémorial censé faire la lumière sur le passé nucléaire de la Polynésie ?
Ce mémorial se situera dans l’Hôtel de la marine, sur le front de mer de Papeete. Hôtel de la marine qui fera l’objet d’une restructuration complète de l’intérieur, tout en préservant sa façade coté mer afin de lui conserver son caractère.
Pour l’heure, selon le document émis par TNAD, six zones principales ont été actées par le comité de projet. Une zone d’exposition permanente ou parcours découverte ; un lieu d’exposition temporaire ; une médiathèque, un espace pédagogique qui pourra accueillir 2 ou 3 classes de collégiens ou lycéens simultanément ; une salle de conférence à usages multiples ; et enfin un « espace calme » dont le jardin actuel de l’hôtel de la Marine pourrait faire office. D’autres zones sont aussi prévues, comme un espace dévolu aux chercheurs et aussi des ateliers d’artistes.
Voilà pour la forme. Concernant le fond, qu’en est-il vraiment, que va-t-on trouver dans ce mémorial censé faire la lumière sur le passé nucléaire de la Polynésie ? Yolande Vernaudon, déléguée au suivi des conséquences des essais nucléaires (DSCEN), nous livre quelques éléments de réponses.
Pas de transfert d’archives de la métropole
Tout d’abord, elle précise qu’il n’y aura pas d’archives dans le mémorial. « Les archives doivent rester dans les institutions qui ont les compétences pour les conserver correctement (…) Il ne faut pas les rapatrier dans le centre de mémoire, car cela nous obligerait à mettre en place des moyens immobiliers et de gestion en termes de conservation, en plus des moyens humains. »
Cette confusion aurait été entretenue lors de la visite en 2016 de François Hollande qui s’était engagé sur la mise en place d’un Institut d’archives, d’information et de documentation sur les expérimentations nucléaires en Polynésie française. « Comme ce discours est historique, les termes ont été repris dans l’Accord de l’Elysée signé en mars 2017 à Paris entre François Hollande et Édouard Fritch. Maintenant on revient pour l’instant au nom provisoire de Centre de Mémoire. Ce n’est pas encore le nom définitif, mais ce qui est sûr, c’est qu’il ne s’appellera pas Institut d’archives. »
Quant à savoir si on peut espérer de la part de l’État qu’il déclassifie certaines données jusqu’à présent classées « secret défense », pour Yolande Vernaudon, ce serait souhaitable, mais ce n’est pas simple. En effet, une loi de 2008 précise que « ne peuvent être consultées des archives publiques dont la communication est susceptibles d’entraîner la diffusion d’informations permettant de concevoir, utiliser des armes nucléaires, chimiques ayant des effets directs ou indirects de destruction d’un niveau analogue. ». Ces documents sont donc incommunicables jusqu’à la fin des temps.
Pour Yolande Vernaudon, la problématique se situe dans le fait que parmi ces archives classifiées, se retrouvent certains documents qui seraient utiles pour faire la lumière sur le processus qui a fait choisir la Polynésie comme terrain d’essais.
Pour pouvoir avoir accès à ces documents, quelques pistes sont étudiées. Comme la possibilité de consulter une partie des archives dont on aurait soustrait les documents dits sensibles, ou une révision de la loi qui permettrait de distinguer l’accès à la connaissance des secrets de fabrication des armes nucléaires de la nécessité de documenter une histoire politique et sociale des essais. Des pistes émises par Renaud Meltz, professeur d’histoire au Cresat (Centre de recherche sur les économies, les sociétés arts et les techniques). Mais cela risque de rendre pas mal de temps, et nécessiterait l’intervention des plus hautes autorités de l’Etat.
Pour Yolande Vernaudon, si il y a urgence à savoir ce qui s‘est passé réellement d’un point de vue historique sur le choix de la Polynésie, il est un autre volet tout aussi important, celui de la mémoire.
Le comité de projet du mémorial a le pouvoir décisionnel sur les orientations du futur centre de mémoire. Celui-ci est co-présidé par le Haut-commissaire de la République et le président Édouard Fritch. Au sein de ce comité on trouve des représentants de l’État et du Pays, le directeur de la Maison des sciences de l’homme du Pacifique, Eric Conte, ainsi que les associations, Moruroa e Tatou, Tamarii Moruroa et 193.
Yolande Vernaudon regrette d’ailleurs que 193 ait décidé récemment de quitter le comité, accusé de n’être «autre qu’un outil de propagande de l’État et des dirigeants politiques de ce Pays», d’autant que le contenu du mémorial n’a pas été véritablement arrêté, mais pour elle, une chose est sure, « c’est que toutes les interprétations des faits seront présentées ».
L’appel d’offre publié la semaine dernière concerne la scénographie : les offres doivent être remises avant le30 septembre prochain. Puis un concours d’architecture sera lancé début 2020, avec un démarrage des travaux prévu pour fin 2021 et une livraison à l’horizon 2023.
La superficie totale de l’ensemble, bâtiments compris est de 3519 m². Trois options de réhabilitation pourront être proposées par les candidats à l’appel d’offres: la démolition de la villa Comar et la réhabilitation de l’hôtel de la marine plus une extension neuve ; la démolition de la villa Comar et de l’hôtel de la marine tout en gardant la façade côté mer, plus la création d’un bâtiment neuf. Dernière option, la démolition de la villa Comar remplacée par un bâtiment neuf, sans toucher à l’Hôtel de la marine. |