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Radar, formation et « barrière de la langue »… Pourquoi le Ping tai Rong s’est-il échoué aux Tuamotu ?

palangrier chinois Anuanuranga

©Haut-commissariat

Le Bureau d’enquêtes sur les événements de mer (BEAmer) a publié la nuit dernière un rapport sur l’échouement du Ping tai Rong 49 sur le récif d’Anuanurunga en juillet 2021. Les enquêteurs relèvent une panne de radar non réparée depuis trois mois, le manque de formation de l’équipage à l’utilisation des cartes électronique, mais aussi des difficultés de communication au sein du navire de pêche et avec son armateur chinois. 

On l’aurait presque oublié, ce bateau de pêche de 40 mètres qui s’était échoué sur l’atoll d’Anuanurunga le 23 juillet 2021. L’accident avait pourtant fait reparler de lui plusieurs fois. Il y avait eu les coûteuses procédures de retrait de l’épave, menées par le Pays à défaut d’action de l’armateur chinois du navire. Puis les complications judiciaires, avec notamment la saisie d’un autre des thonier du même propriétaire pour l’obliger à payer la note et signer le contrat de démantèlement. Mais ce feuilleton avait presque fait oublier une question importante : pourquoi le Ping Tai Rong s’était-il échoué ? Des experts y ont répondu la nuit dernière, avec la publication du rapport définitif du BEAmer, bureau d’enquête sur les évènements de mer.

Six kilomètres de carte par millimètre d’écran

Trente pages de chronologies, d’analyse de l’épave et des carnets de bord, et un constat : le navire de pêche n’avait pas mis toutes les chances de son côté pour éviter les accidents. Loin de là, même. D’après le BEA le radar de ce bateau de 40 mètres était, lors de l’accident du 21 juillet 2023, éteint depuis au moins trois mois. « Il fonctionnait mais avec une image tellement dégradée qu’il était dans la pratique inutilisable », précise le rapport. L’outil est pourtant très utile quand on décide, comme l’a fait le Ping Tai Rong 49, de traverser la moitié du Pacifique pour quitter une zone de pêche décevante, autour de Guam, pour en rejoindre une autre, dans les eaux internationales du Sud des Tuamotu. le radar qui est surtout obligatoire pour ce type d’embarcation au titre des certifications de sécurité qui lui sont délivrées.

Le Ping Tai Rong naviguait donc avec des cartes électroniques – il n’y aucune carte papier à bord. Ce soir là, la météo est bonne, le risque de collision avec un autre bateau quasi-nul, l’officier de quart ne fait donc que maintenir le cap fixé quelques heures plus tôt. Droit vers le sud-est à une allure de huit nœuds ce qui ne semble poser aucun problème d’après l’écran de 17 pouces de la carte électronique, alors réglé « à très petite échelle ». « Sur la carte électronique apparaissait toujours Tahiti dont il se trouvait pourtant à 370 milles », écrit le BEA qui relève qu’à l’échelle utilisée, un millimètre représente 6 kilomètres. Impossible, donc, de distinguer une petite bande de terre comme celle d’un atoll, qui n’était peut-être aussi mal référencée du fait de données cartographiques incomplètes fournis par l’armateur. La douce nuit de l’équipe de quart – et du reste de l’équipage – prend une autre tournure à 2 heures 30, quand le navire s’immobilise dans un fracas de métal et de corail : le Ping Tai Rong s’est échoué sur le récif d’Anuanurunga.

Aucune communication avec l’armateur

Pourquoi l’officier de quart n’a pas zoomé sur la carte pour vérifier le positionnement des atolls inhabités, nombreux dans la zone ? Pourquoi le pilotage automatique ne prévoit aucune alarme pour ce genre de trajectoire de collision ? Le BEAmer ne se met pas dans la peau des marins du bord, mais rappelle opportunément que la Chine n’a pas signé toutes les conventions internationales en matière de formation maritime. La « barrière de la langue » a aussi pu jouer – « le capitaine ne lisant ni le Français ni l’Anglais, il est peu probable qu’il ait eu conscience de ses obligations réglementaires » – de même que la fatigue.  » Si rien ne permet de faire un lien, pour cet accident, entre la durée d’embarquement des marins et leurs prises de décisions, il est toutefois à noter qu’ils sont tous embarqués depuis trois mois, ce qui peut avoir des conséquences sur le mental des marins et leur aptitude à maintenir leur niveau de vigilance, en particulier lors de la pandémie avec toutes les inquiétudes que celle-ci pouvait susciter vis-à-vis des proches en particulier », écrivent les experts.

L’autre problème qu’il y a eu à bord, c’est la communication. Au sein de l’équipage, d’abord avec une organisation rigide qui empêchait la prise d’initiative et les doubles contrôles. « Le capitaine trace la route et ne demande pas à un des officiers de vérifier qu’il n’y a pas de danger secteur par secteur », précise le BEA. Communication avec la compagnie aussi : un navire de cette taille est normalement en contact régulier avec son armateur et dans le cas du Ping Tai Rong 49, la panne de radar n’avait pas été signalée. En tout cas officiellement : « Il semble particulièrement surprenant que, pour un navire de cette taille dans une compagnie, aussi structurée que la Ping Tai Rong, le radar puisse être non fonctionnel pendant un temps si long sans que la compagnie en ait connaissance », écrit le bureau d’enquête. Le rapport recommande, en conclusion, du changement sur l’organisation de la compagnie, qui rassemble une des plus importantes flottes chinoises dans le secteur de la pêche hauturière, sur la qualification des officiers mais aussi sur la traduction des documents de bord en chinois : certains étaient en anglais, langue que personne, à bord du Ping tai rong 49, ne savait lire.