Le procès en appel de Radio Tefana s’est achevé jeudi par les plaidoiries des avocats de la défense. Face aux réquisitions de l’avocate générale, qui demande la confirmation des peines prononcées en première instance, ils ont qualifié le dossier d’accusation de « vide, tendancieux, incomplet, bâclé » et demandé l’annulation des poursuites et la relaxe des prévenus. Le délibéré sera rendu le 24 mai prochain.
Ce jeudi c’est d’abord Me Stanley Cross, représentant la mairie de Faa’a qui s’est constituée partie civile, qui a pris la parole pour replanter le décor historique du combat anti-nucléaire, en évoquant longuement son propre engagement. Pour lui, « le parquet fait le jeu de l’État. Aujourd’hui c’est Oscar Temaru qu’on veut sacrifier sur l’autel de la raison d’État. Est-ce la raison d’État qui a conduit à se satisfaire d’une enquête bâclée, incomplète, tendancieuse ? » Car ce dossier, « endormi » entre 2014 et 2017, ne s’est « réveillé » qu’en 2017, quelques jours seulement après l’annonce par Oscar Temaru devant la 4e Commission de l’ONU qu’il avait transmis à la Cour pénale internationale une communication demandant une enquête sur les présidents de la République française pour crimes contre l’humanité. Et selon
« Le combat contre le fait nucléaire n’est plus d’actualité », estime l’avocate générale
L’avocate générale, qui reproche aux prévenus de faire du procès une tribune politique alors que c’est le parquet qui est maître du calendrier judiciaire, ce que n’a pas manqué de lui faire remarquer la défense, est restée sourde à l’argument historique (« Ce n’est pas l’œuvre d’Oscar Temaru qui fait aujourd’hui débat »), et critiqué les « attaques sans fondement contre l’État français et le parquet » : « Nous ne sommes plus dans les années 70, nous n’avons reçu aucune consigne de Paris. » Elle dira même que « le combat contre le fait nucléaire n’est plus d’actualité », une affirmation un peu rapide sans doute à mettre au compte de sa récente arrivée au fenua, ou à celui de sa surdité au témoignage, par exemple, de père Auguste.
Si aucun préjudice ou enrichissement personnel ne peut être retenu, « ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu infraction », dit-elle : en faisant octroyer des subventions à une radio dont il est membre fondateur et qui est animée par ses proches, le maire de Faa’a a bien commis un délit de prise illégale d’intérêt qu’il ne pouvait ignorer, notamment par la prise en charge par la mairie des salaires d’employés de la radio. « Qu’importe qu’il y ait ou non des messages pro-Tavini », estime Mme Charloux : « M. Temaru a servi ses intérêts politiques » en faisant financer la radio par « tous ses administrés, et tous ne sont pas Tavini. »
L’avocate générale a donc demandé la confirmation des peines prononcées en première instance, à l’exception de l’amende de Heinui Le Caill réduite de 500 000 à 200 000 Francs pour prendre en compte ses moyens financiers réels.
« Grâce au parquet, l’idéologie indépendantiste a eu sa meilleure publicité »
Pour le parquet, « ne pas faire une enquête aurait été un déni de justice. » Mais c’est pourtant bien cette enquête qui pose problème. L’accusation est restée incapable de produire des enregistrements appuyant la thèse de la propagande politique ou la moindre plainte sur la ligné éditoriale de Radio Tefana. « Il n’y a pas de dossier, c’est un dossier de vindicte personnelle, un abus de pouvoir et un abus de fonction de la part d’un homme », a déclaré Me Dubois. Une affaire qui a servi les intérêts du Tavini peut-être mieux que la radio n’aurait pu le faire : « Grâce au parquet, l’idéologie indépendantiste a eu sa meilleure publicité. »
Pour le défenseur de Heinui Le Caill, Me Antz, qui qualifie le dossier de « gazeux » tant il l’estime léger, l’État cherche à faire condamner Oscar Temaru afin de saper sa crédibilité devant les instances internationales, « il faut qu’il y ait une petite tache » sur le casier vierge du leader indépendantiste. Et il pèse de son poids d’ancien bâtonnier pour affirmer : « Je le sais, tous les procureurs de la République sont désignés par le Président de la République. » Il a souligné « l’absurdité » de prétendre n’avoir découvert le lien entre Radio Tefana et le Tavini qu’en 2017. Quant à l’amende de 100 millions, dix fois les réquisitions de 2019 mais que le parquet estime proportionnée aux montants des subventions, « c’est la peine de mort pour Radio Tefana, c’est bien un jugement politique ».
Me Millet, lui, a dénoncé « une enquête qui s’est endormie puis réveillée en fonction des événements politiques », truffée de gardes à vue illégales, d’ordres politiques, de rapports cachés, d’atteintes au droit de la défense. Seule branche à laquelle se raccrochait l’accusation : la modification des statuts de l’association Te Reo o Tefana en 2008 pour inclure la « promotion de la lutte contre le nucléaire et de la souveraineté ». Me Millet répond : « Et alors ? » Il estime que ces sujets répondent parfaitement aux critères qui justement autorisent les collectivités à financer des radios locales.
Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ou les conséquences nocives des essais sont bien des sujets d’intérêt général, ont insisté les avocats. De fait, le parquet a laissé de côté l’idée de « propagande » coupable. Car les avocats ont aussi souligné des erreurs de droit de la part de l’accusation, qui s’appuyait sur un article du code pénal modifié en 2021 à l’avantage des prévenus, comme l’explique Me Koubbi.
Dans ce dossier qualifié de « bancal, truqué, corrompu, d’un vide abyssal et d’une mauvaise foi caractérisée » par Me Koubbi, l’avocat parisien qui plaidait en dernier a conclu au manque de fondement légal, et en disant à l’avocat générale : « Je suis heureux de ne pas être à votre place. »
Le délibéré sera rendu le 24 mai prochain. Si la décision leur était défavorable, les prévenus promettent d’aller en cassation et devant la Cour européenne des droits de l’Homme