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Radio Tefana : « une décision qui peut réconcilier les Polynésiens avec la justice » 

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La cour d’appel de Papeete a prononcé ce mercredi la relaxe d’Oscar Temaru, Vito Maamaatuaiahutapu et Heinui Le Caill dans l’affaire Radio Tefana. Un jugement très critique de la procédure menée par le ministère public, qui a toutefois deux mois pour se pourvoir en cassation.

« Un jour historique », c’est ainsi que Me David Koubbi a qualifié ce 24 mai 2023, quelques minutes après la relaxe en appel des trois protagonistes du procès de l’affaire dite « Radio Tefana ». Une relaxe générale, qui annule non seulement la condamnation en première instance pour prise illégale d’intérêts d’Oscar Temaru, et la peine de 6 mois de prison avec sursis et 5 millions d’amende, mais aussi celle de Vito Maamaatuaiahutapu, l’ancien directeur puis président de la radio (trois mois avec sursis et un million de Fcfp d’amende), et celle de Heinui Le Caill, actuel président de Radio Tefana (un mois avec sursis et 500 000 Fcfp d’amende). L’amende de 100 millions de Francs infligée à la radio elle-même et qui menaçait son existence est également annulée.

 « Je ne suis pas surpris, parce que c’est la vérité », déclarait immédiatement Oscar Temaru, qui rapprochait cette victoire de celles des deux dernières élections.

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Le président de la cour d’appel de Papeete, Karim Sekkaki, a pris le soin de lire publiquement et intégralement sa décision, ce qui n’est pas fréquent. La cour a rejeté les nombreuses exceptions de nullité soulevées par les avocats de la défense, même si elle reconnait des erreurs de procédure de la part du parquet et, globalement au cours des cinq ans de procédure, une certaine « inertie dans la conduite des investigations ». Mais sur le fond, elle fait droit aux trois accusés.

Une accusation qui « ne résiste pas à l’analyse », pour la cour d’appel

La cour a estimé que l’accusation de prise illégale d’intérêt, fondée non pas sur des intérêts financiers – l’accusation de détournement de fonds publics avait déjà été abandonnée – mais sur des liens personnels , « ne résiste pas à l’analyse des éléments de la procédure, des témoignages recueillis pendant l’enquête et des déclarations des prévenus. » « La cour note que le tribunal (de première instance, ndr) a procédé par affirmations, s’appuyant sur des éléments vagues, mélangeant le soutien de la commune de Faa’a à l’association pour en déduire un soutien d’Oscar Temaru, sans démontrer en quoi il aurait un intérêt personnel de cette nature », a poursuivi le juge pour qui, à l’époque visée par la procédure, Oscar Temaru et l’association n’entretenaient plus les liens actifs qui avaient caractérisé les débuts de la radio. Il note aussi que l’amitié entre le maire de Faa’a et les présidents successifs de Radio Tefana n’a jamais été un grief des autorités de contrôle, ni même des membres de l’opposition au sein du conseil municipal qui ont eux aussi voté en faveur des subventions à Te Reo o Tefana. Enfin il rejette la comparaison avec l’affaire Radio Bleue dans laquelle la corruption était avérée.

Une enquête incomplète

Autre problème du jugement de première instance, selon les juges d’appel, sur les bénéfices politiques supposément tirés par Oscar Temaru du soutien de Faa’a à Radio Tefana : la temporalité. Les enquêteurs ont recueilli et versé au dossier des déclarations à charge qui concernaient une période antérieure à celle des faits reprochés aux trois hommes. La cour remet notamment en cause un élément important de l’accusation, le témoignage de Marie-Christine Lubrano qui fut la tête du Comité territorial de l’audiovisuel, et qui « ne précise ni n’a été invitée à préciser » de quelle période elle parlait lorsqu’elle affirmait que Radio Tefana était une radio indépendantiste.  Pourtant, dit le juge, « les documents remis aux gendarmes pendant l’enquête initiale ont permis de constater le caractère neutre de la programmation et l’absence d’évocation des luttes indépendantistes sur les essais nucléaires. » Surtout, dit-il, « l’absence totale d’enregistrement pendant la période de l’enquête (…) ne permet pas d’objectiver les éléments apportés par l’accusation. »

Ainsi, a conclu Karim Sekkaki, en l’absence de preuve qu’Oscar Temaru aurait influé sur la programmation de Radio Tefana pour servir ses intérêts politiques, « le délit de prise illégale d’intérêt n’est pas constitué », le jugement de première instance est infirmé et les prévenus relaxés.

« Un mauvais procès qui visait à salir »

Me Koubbi a salué « la rigueur juridique, le courage et la clairvoyance dans la décision » du juge Sekkaki et de ses deux collègues magistrats, et critiqué le parquet de Papeete pour cette « procédure-baillon » qui visait selon lui à nuire politiquement à son client.

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Pour Me Thibaud Millet, « c’est une décision qui peut réconcilier les Polynésiens avec la justice », et qui rendra selon lui « très difficile » pour le ministère public un pourvoi en cassation.

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Quant à Me Vincent Dubois, avocat de Vito Maamaatuaiahutapu, il déclare : « c’est pour ça que j’ai voulu être avocat ».

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Enfin Heinui Le Caill se dit lui aussi très soulagé, et se félicite que la radio puisse poursuivre son activité. L’amende de 100 millions de francs prononcée en première instance était en effet synonyme de disparition pour la station. Il faudra tout de même changer de modèle économique : malgré cette décision, le financement par la mairie, qui a représenté 192 millions de francs entre 2010 et 2017, semble très risqué juridiquement.

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