TEMOIGNAGE E1 – Zara Mourtazalieva, une étudiante tchétchène, raconte son calvaire dans un livre, à paraître mercredi.
Son histoire est à peine croyable. En 2003, Zara a 18 ans quand elle quitte sa famille et son village, proche de Grozny, en Tchétchénie, pour s’installer à Moscou et y poursuivre ses études. Mais rien ne se déroule comme prévu. La jeune femme tombe dans un engrenage qui la conduit tout droit à une arrestation par la police russe, alors que les relations avec la Tchétchénie sont encore très instables. A l’issue d’un procès éclair, Zara est condamnée en janvier 2005 pour « terrorisme », à huit ans et demi de camp, malgré la rétractation de l’une de ses principales accusatrices et l’absence de preuves. Le 3 septembre 2012, elle sort enfin de la colonie pénitentiaire numéro 13, à Potma, en Mordovie, à plus de 400 kilomètres de Moscou. Huit ans et demi d’enfermement qu’elle raconte dans un livre : Huit ans et demi, une femme dans les camps de Poutine. Aujourd’hui, elle vit en France depuis bientôt deux ans, sous le statut de « réfugiée politique ». Europe 1 l’a rencontrée.
Quel regard portez-vous sur vos années d’emprisonnement ?
Mon regard est double. D’une part, comme vous le savez, je suis restée emprisonnée de 20 ans à 29 ans. Ce sont des années pendant lesquelles j’aurais pu étudier, j’aurais pu créer ma famille, mais, d’un autre côté, c’est une expérience inestimable. Ça m’a permis de porter un regard différent sur le monde et sur mon pays. Pour cette raison, je ne regrette pas que cela soit arrivé.
Vous êtes sortie en 2012. Dans quelles conditions êtes-vous arrivée à Paris ?
Lorsque j’ai été libérée, j’ai d’abord pensé que je pourrai vivre en Russie et surtout que je pourrai continuer mes études interrompues par mon arrestation. Mais je me suis rendu immédiatement compte que j’étais suivie partout par des agents du FSB (Les services secrets russes chargés de la sécurité intérieure, ndlr.) qui, d’ailleurs, m’appelaient aussi sur mon portable et me proposaient de collaborer avec les services. A partir de là, des amis, les gens qui m’ont soutenue, des défenseurs des droits de l’homme, m’ont conseillée de partir. Mais je ne savais pas, concrètement, comment je pourrai le faire. C’est le hasard qui m’a conduite en France. Zoia Svetova, une journaliste très connue, a écrit un livre sur la justice russe et je figure comme l’un des deux cas emblématiques de la justice arbitraire. Zoïa m’a proposé de venir pour la promotion de son livre en France. Des amis m’ont aidé à faire rapidement le passeport et c’est comme ça que je me suis retrouvée ici.
Avez-vous rencontré des difficultés depuis que vous êtes réfugiée politique sur le territoire français ?
La question du logement n’est toujours pas réglée, donc j’habite à tour de rôle chez des amis que j’ai pu trouver en France. Mais en général, j’avoue que la paperasserie est une étape extraordinairement compliquée, surtout pour les gens qui ne parlent pas français et c’est le sort de pratiquement tous les réfugiés. Ça fait déjà un an et demi que je suis en France, j’ai obtenu le statut de réfugiée politique, mais je n’ai pas encore terminé la paperasserie de toute sorte pour avoir des documents en règle.
Vous dites que vous réapprenez à vivre en liberté, qu’est-ce que ça signifie concrètement ?
En automne, ça fera deux ans que j’ai été libérée, mais je savoure toujours chaque jour que je passe en liberté. Le plus grave en colonie, c’est la promiscuité permanente. Je suis donc très heureuse de ne pas entendre des ordres aboyés par les gens en uniforme mais surtout, je peux à présent me retrouver seule, je n’ai pas besoin de faire la queue pour aller aux toilettes, la queue pour aller à la cantine, ou pour l’appel… Je peux me lever à l’heure qui me plaît, prendre tranquillement mon café, humer l’odeur de ce café, me promener dans les rues toute seule… C’est quelque chose d’inestimable.
Quels sont vos projets ?
Sur le plan personnel, j’ai le projet de reprendre mes études, mais il faut d’abord que j’améliore mon Français. Je dois passer un examen prochainement, qui définira mon niveau de français, puis j’aurai droit à des cours, à la Mairie de Paris, pendant six mois. Mon objectif est d’atteindre un niveau qui me permette d’aller à la fac. Et très probablement, ce sera à la fac de droit.