ACTUS LOCALES Renflouement d’Air Moana : Air Tahiti appelle le Pays à la raison Charlie Réné 2024-10-03 03 Oct 2024 Charlie Réné La compagnie historique faisait bénir ce jeudi son nouvel ATR 72 prêté pour 11 mois par Air Calédonie. D’autres appareils, neufs cette fois, sont attendus dans les prochains mois, mais ces achats ne doivent pas cacher une situation « difficile » : l’opérateur devrait republier des pertes de plus de 2 milliards cette année. La faute à la guerre des prix menée avec Air Moana, qui finira, prévient Édouard Wong Fat, par avoir des conséquences sociales pour la compagnie. Quant aux tentations du Pays de renflouer le concurrent, il appelle à regarder les chiffres « sans passion » : il n’y « pas de relais de croissance » pour assurer sa survie. Un peu d’eau bénite sur carlingue et quelques gouttes « pour les gens ». « Ça peut pas leur faire de mal », s’amuse Père Christophe, qui, entre les nouvelles agences et les nouveaux avions, est un habitué des cérémonies d’Air Tahiti. Mais l’appareil béni ce jeudi dans un hangar de Tahiti-Faa’a détonne dans la longue série d’ATR 72 qu’a accueilli la compagnie : plutôt que les tatau rouge et blanc, c’est d’un orange ocre et d’une flèche faîtière qu’est habillé le turbopropulseur. Les couleurs d’Air Calédonie, dont l’activité a nettement baissé depuis le début des émeutes du mois de mai et qui a donc loué à Air Tahiti un de ses appareils pour 11 mois. « Une chance » commente Édouard Wong Fat, directeur général de l’opérateur historique polynésien, qui rappelle que ce genre de leasing de « courte durée » est une rareté sur le marché mondial. Et qui montre, de l’autre côté du hangar, un ATR en grande partie démonté. Pas de problème technique, mais un cycle de maintenance important qui va concerner plusieurs autres avions de la compagnie. La location cet ATR d’Air Calédonie, c’est un moyen de « maintenir la capacité » pendant ces réparations, voire de la « renforcer ». Car la flotte d’Air Tahiti atteint de nouveaux sommets : 12 avions en comptant cette location, 13 avec l’arrivée d’un ATR 72 acheté à la sortie d’usine en décembre, et qui permettra, en janvier, de libérer un autre appareil loué. Et 13, au plus long terme cette fois, avec la livraison d’une deuxième avion flambant neuf – et toujours du même modèle – au mois de mai. Père Christophe va devoir garder son goupillon à portée de main. 16 milliards d’investissements sur 6 ans… Et plus de 2 milliards de perte sur l’année Partout ailleurs, ce ballet de nouveaux appareils sur le tarmac serait la preuve d’une santé florissante et de perspectives radieuses pour la compagnie. Pas en Polynésie, où l’aérien connait, au domestique comme à l’international, une période de difficultés qui commence à durer. Édouard Wong Fat parle même « d’angoisse », « d’inquiétudes » et de craintes qui touchent tout l’aérien. « Le secteur ne se porte pas bien financièrement, je rappelle qu’Air Tahiti a perdu 2,3 milliards en 2023, que l’exercice 2024 va sans doute se clôturer sur une perte courante de plus de 2 milliards, détaille l’ancien cadre du groupe Société Générale. Angoisse aussi parce que derrière ce qu’on appelle pudiquement une entreprise, il y a des familles, des centaines autour d’Air Tahiti, et puis inquiétudes aussi parce qu’on est engagé sur cet énorme programme de renouvellements et d’investissements qui va concerner nos aéronefs, nos matériels de piste sur la base principale à Tahiti mais également dans les escales. Et cet investissement, c’est plus de 16 milliards entre maintenant et 2029″. https://www.radio1.pf/cms/wp-content/uploads/2024/10/AIR-TAHITI-1-inquietudes-en-chiffres.wav Cet effort d’investissement, et de renouvellement de la flotte, serait donc un acte « d’engagement » de la compagnie historique dans une situation troublée. Pas à cause de la demande, plutôt en hausse ces dernières années, mais à cause de la guerre des prix sans merci que se mènent Air Tahiti et Air Moana, depuis le lancement du nouvel opérateur début 2023. Comme dans l’international, où ATN fait partie des principales victimes d’une concurrence exacerbée, les prix actuels des billets interîles, si les passagers semblent s’y être habitués, ne permettent à aucune des deux compagnies de rentrer dans leurs frais. Avertissement aux décideurs du Pays Combien de temps cette guerre peut-elle durer ? Difficile à dire tant l’avenir d’Air Moana est flou. Après des demandes d’aide toujours plus importantes auprès Pays, la jeune compagnie avait menacé d’arrêter son activité cette semaine, avant de se raviser sans aucune forme de communication. Moetai Brotherson a déjà posé la limite d’intervention des autorités publiques, appelant les actionnaires à jouer leur rôle. Et les bruits de couloirs vont et viennent. Ce jeudi, certains employés croyaient savoir qu’un tour de table fructueux et un « accord avec le gouvernement » – dont les principaux représentants sont hors territoire – permettrait d’assurer la continuité de la compagnie. La veille, d’autres annonçaient déjà que les administrateurs avaient décidé d’arrêter les frais. Du côté de la direction, plus de son, ni d’image : les annonces « c’est pour bientôt », depuis de longues semaines. Édouard Wong Fat, sans surprise, ne commente pas, pas plus qu’il ne se réjouit, de cette situation chaotique du concurrent. Si Air Moana fait défaut, Air Tahiti, grâce à sa flotte renforcée et ses réserves de sièges – environ 65% de remplissage sur les « grosses destinations » ouvertes à la concurrence – sera « en capacité de répondre à la demande ». Si Air Moana survit, Air Tahiti ne baissera pas la garde. Et le directeur général préfère prévenir, peut-être à l’attention des élus du Pays qui se posent la question d’un soutien public au concurrent : sur le « micro-marché » polynésien, unique au monde dans son rapport surface – population, il ne voit « pas de relais de croissance ». En clair, pour le successeur de Manate Vivish qui était lui-même convaincu qu’il n’y avait « pas de la place pour deux » sur le marché domestique, renflouer Air Moana ne ferait que reporter l’inéluctable. Pour s’en convaincre, il suffirait d’après l’ancien banquier de regarder « sans passion », les chiffres du marché. « On a un an et demi de recul, maintenant, on a des chiffres, et ce que je demande vraiment c’est qu’on regarde ces chiffres avec sérénité, transparence, pragmatisme, reprend Édouard Wong Fat. C’était ma première leçon d’économie : le prix c’est le reflet de l’équilibre ou pas entre l’offre et la demande. Des prix bas c’est incontestablement le reflet d’un déséquilibre, d’un excès d’offre par rapport à la demande de transport ». https://www.radio1.pf/cms/wp-content/uploads/2024/10/AIR-TAHITI-2-regarder-les-chiffres-2.wav Pour le reste le directeur général laisse les dirigeants du Pays « face à leurs responsabilités ». Mais après 5,5 milliards de francs de pertes cumulées en 5 ans, il le rappelle : « une SA de droit privé comme Air Tahiti ne peut pas accepter durablement de perdre autant d’argent ». Une façon de suggérer que la situation finira par avoir des conséquences sociales chez l’opérateur historique et ses quelque 1 600 collaborateurs, « à Tahiti mais aussi partout dans les archipels. » Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre)Cliquez pour partager sur Twitter(ouvre dans une nouvelle fenêtre)Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre)Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre)