Annoncé par Air Moana voilà dix jours, le nouvel apport d’un milliard de francs du Pays au capital de la compagnie reste toujours à valider. Les conditions posées le gouvernement, « sur la base d’un audit indépendant » n’ont « pas changées » d’après Moetai Brotherson qui estime que les deux compagnies peuvent prospérer « pour peu qu’elles soient raisonnables et arrêtent de se tirer dans les pattes ». Les Polynésiens, eux, « ne veulent pas retourner à une situation monopolistique », affirme-t-il.
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Le 8 octobre dernier, après des semaines d’inquiétudes, de rumeurs, menaces, et de discussions feutrées, la direction d’Air Moana sortait de son silence public. Avec une bonne nouvelle : la jeune compagnie a réuni les fonds dont elle avait besoin pour poursuivre « au long terme » son activité, et confirmer la commande de trois avions pour s’installer durablement sur le marché. Une bouffée d’air financière qui reposait sur un nouveau tour de table à trois milliards de francs auprès d’investisseurs privés – notamment les familles Vanfau et Bréaud – mais aussi sur un apport de capital du Pays à hauteur d’un milliard de francs.
Pas la première prise de participation pour la concurrente d’Air Tahiti, puisque la Sofidep, bras financier de la collectivité dans ce dossier, avait déjà réalisé, début avril, un apport de 250 millions de francs sur les 500 promis fin 2023. Mais Natireva, la société d’exploitation d’Air Moana, avait immédiatement demandé un autre investissement public, qui serait désormais, et d’après sa direction, acquis. Ce milliard supplémentaire n’a toutefois pas été confirmé par l’exécutif.
« Nous sommes en faveur de la concurrence mais nous respectons le droit »
Interrogé sur le sujet, Moetai Brotherson rappelle que « la ligne du gouvernement est la même depuis le début sur ce dossier : nous sommes en faveur de la concurrence mais nous respectons le droit ». Ainsi, la demande de Natireva avait lancé un « travail de fond » du côté du Pays. « Nous avons fait faire cet IBR (Independent Business Review, un audit indépendant sur le modèle et les besoins de la société, ndr) sans lequel nous n’aurions pas pu nous engager dans quoi que ce soit. Et c’est sur la base des conclusions de cet IBR que nous avons dit une chose très simple à Air Moana : il y avait un besoin de financement de 4 milliards. Le pays, au travers d’une LOI (une lettre d’intention, ndr) s’engage à venir au capital à hauteur d’un milliard, sous réserve que les investisseurs privés de Air Moana viennent compléter ».
Des conditions qui n’ont longtemps pas été rassemblées par Air Moana, mais qui « semblent » l’être aujourd’hui. D’où la communication de la compagnie, pas réellement concertée avec le Pays pour qui la prise de participation ne sera actée qu’après vérification, par la Sofidep, que les engagements de la société privée sont bien remplis. « Si les conditions d’entrée au capital sont réunies, on rentrera au capital tel que c’était prévu dès le départ », complète Moetai Brotherson. Même principe pour la deuxième tranche de l’aide à 500 millions de francs : les conditions « semblent être en voie de réalisation », et les vérifications sont en cours. Le Pays pourrait donc bientôt être actionnaire du concurrent d’Air Tahiti à hauteur de 1,5 milliard de francs.
« Dans le monde dans lequel on vit, le zéro risque n’existe pas »
Un investissement qui semble, pour beaucoup, très risqué. Air Moana ne communique certes pas publiquement sur les pertes engrangées en quelques 20 mois d’exploitation. Mais il suffit de regarder celles d’Air Tahiti – 2,3 milliards de déficit en 2023, et « sans doute » 2 milliards en 2024 – pour comprendre que le niveau de prix actuel ne permet pas à une petite compagnie de deux avions en leasing de se tenir à flot. L’audit indépendant commandé par le gouvernement aurait confirmé que « l’acquisition des trois avions en défiscalisation » ouvrait une « perspective d’équilibre puis de bénéfices à l’horizon 2027 ». « C’est sur cette base-là que le Pays a décidé de signer cette LOI », appuie Moetai Brotherson.
Mais les nouveaux fonds propres injectés par les investisseurs privés et publics permettront-ils de tenir jusque là ? « Dans le monde dans lequel on vit, le zéro risque n’existe pas, répond le président du Pays. Normalement oui, mais on n’est pas à l’abri, quand on voit ce qui se passe dans le monde… »
Reste que le chef du gouvernement assume sa politique de soutien au concurrent d’Air Tahiti, compagnie dont le Pays est aussi actionnaire minoritaire. Quelques jours avant l’annonce d’Air Moana, son directeur Édouard Wong Fat avait semblé appeler le Pays à la raison, ou en tout cas à une analyse du marché « sans passion ». À l’entendre, l’ajout d’un opérateur n’a fait que « déséquilibrer » le marché avec un « excès de sièges », qui engendre les prix bas et les pertes des deux côtés. Et aucun « relais de croissance » ne semble promettre une évolution de cette situation… L’ancien dirigeant bancaire avertissait, en creux, qu’un acharnement des autorités à maintenir en vie Air Moana aurait des conséquences sociales pour Air Tahiti et ses 1600 collaborateurs.
« Qu’ils arrêtent de se tirer dans les pattes »
Le gouvernement met-il en danger la compagnie historique, présente dans une quarantaine d’îles et tous les archipels, en soutenant son jeune concurrent ? « Je crois qu’il ne faut pas confondre corrélation et causalité, répond Moetai Brotherson. Il y a eu de la destruction de valeur qui est la résultante de cette guerre des prix déraisonnable, qui n’est pas imputable qu’à un seul acteur. ‘It takes two to tango’. Si une compétition normale avait eu lieu, il n’y aurait pas eu cette destruction de valeur. Donc, je reste persuadé qu’il y a de la place pour deux opérateurs, pour peu qu’ils soient raisonnables et qu’ils arrêtent de se tirer dans les pattes ».
En dehors de cette différente de constat économique, la concurrence dans le ciel polynésien reste aussi un objectif politique pour le Pays. « On a vu l’appréciation de la population depuis l’arrivée d’Air Moana, avec une baisse des tarifs, mais aussi un service différent qui a du coup provoqué une émulation et une réponse du côté de l’opérateur historique, explique le président. C’est le même phénomène qu’on a observé dans les télécoms quand la concurrence s’est ouverte. Aujourd’hui, les Polynésiens, je ne pense pas qu’ils aient envie de retourner à une situation monopolistique ».