Après avoir analysé les prestations fournies par la Caisse de prévoyance sociale et ses systèmes informatiques, la Chambre territoriale des comptes poursuit son examen de la CPS, avec cette fois un coup de projecteur sur les ressources humaines. Elle invite sa direction à « s’emparer résolument des chantiers de modernisation ».
Avec 505 employés et des frais de gestion de 4,7 milliards, dont 2,8 milliards en masse salariale, et un déficit cumulé entre 2010 et 2021 de l’ordre de 27 milliards, la Caisse de prévoyance sociale fait dire à la Chambre territoriale des comptes qu’on est en droit d’attendre des « pratiques modernes » et un « haut degré de professionnalisme » dans le domaine des ressources humaines. Dans un monde parfait, la « transparence du pilotage et des procédures », la « rigueur de gestion », et l’ « efficacité des pratiques professionnelles et des contrôles internes » seraient au rendez-vous. Ce n’est pas le cas, détaille le rapport de 127 pages publié ce lundi.
Un maquis inextricable de conventions, avenants et protocoles
Entreprise de droit privée régie par le code du travail depuis 1991, la CPS a conservé la convention d’entreprise de 1986, « obsolète » selon la CTC et modifiée par une cinquantaine d’avenants et de protocoles d’accord, ce qui l’oblige à un certain contorsionnisme chaque année pour trouver chaque année des « compromis » sur les salaires.
Même constat concernant le règlement intérieur, peu développé. La classification des emplois est jugée obsolète – elle n’a pas été mise à jour depuis 1991, et toutes les tentatives ultérieures ont échoué. Au final, la convention et le règlement sont « illisibles pour les parties, employeur et salariés », et la CTC recommande l’adoption d’une nouvelle convention et d’un nouveau règlement intérieur d’ici fin 2024.
Une transparence à améliorer
Comme souvent la CTC ne jure que par les « supports de pilotage accompagnés d’indicateurs spécifiques et « réalistes » et n’en trouve pas beaucoup. Certains documents internes indispensables – charte de déontologie, charte d’utilisation de systèmes d’information, document d’évaluation des risques professionnels, bilan social – sont insuffisamment développés et diffusés. La CTC note que de nombreux rapports pourraient être mis en ligne sur le site de la CPS, pour respecter « le devoir moral de transparence qui s’impose au regard de sa mission de service public ».
Effectifs, salaires, indemnités et traitements de faveur
Après plusieurs années de baisse, depuis 2016 les effectifs de la CPS sont en hausse continue : +38% entre 2017 et 2021. La CTC critique le plan de départ à la retraite conclu en 2017, qui a consenti 12 mois d’indemnités au lieu des 5 prévus dans la convention d’entreprise. 94 agents ont ainsi quitté la CPS avec une moyenne de 4,5 millions en poche. « Or, il n’est pas certain que les départs à la retraite n’auraient pas été moins nombreux sans les surprimes instaurées, compte tenu des réformes gouvernementales de la retraite », note la chambre. Pire, faute d’avoir tenu les délais de la modernisation des outils informatiques, la CPS a dû réembaucher, sans pouvoir correctement former les nouveaux arrivants.
Mieux payés (+14%) que les agents du Pays dans des postes comparables, les agents de la CPS touchent en moyenne un complément annuel de 558 000 Fcfp en primes, gratifications et indemnités. Parmi celles-ci, la « prime d’assiduité », qui représente 67% des indemnités versées, sans que le contrôle du temps de travail ne soit automatisé ; ce qui fait dire à la CTC qu’il s’agit là d’un 13e mois déguisé, représentant une moyenne de 412 595 Fcfp par agent. Le taux global d’absentéisme était de 17,9% en 2021, dont seulement 6,1% pour raisons médicales. En revanche la « prime d’objectifs et de gestion » représente moins de 7% du total versé, et la CTC estime qu’ »il conviendrait de reconsidérer cet équilibre ».
Enfin, les agents de la CPS bénéficient d’un « régime social intérieur » et peuvent se faire rembourser partiellement des soins qui ne sont pas pris en charge pour les assurés lambda : prothèses dentaires, chirurgie esthétique ou séances d’ostéopathie, sans cotiser à une assurance complémentaire. Si le surcoût est modeste – il représenterait moins de 10 millions par an – l’exemplarité en prend un coup, alors que la direction et les gouvernements successifs n’ont de cesse de vouloir « responsabiliser » les assurés pour une meilleure maîtrise des dépenses de santé.
On note que la direction aurait souhaité que la grille des salaires ne soit pas incluse dans le rapport, pour ne pas « renforcer les tensions que son personnel a déjà à subir de la part des assurés ». La CTC est bien sûr passée outre, et cette grille est reproduite ci-dessous.
Un « écosystème RH insuffisamment développé »
Malgré des tentatives parcellaires, la CPS ne s’est toujours pas dotée d’un véritable plan stratégique RH et n’a pas déployé les outils de la gestion prévisionnelle des ressources humaines. Des progrès sont notés ça et là, résultant parfois des plans successifs d’entreprise démarrés mais jamais achevés. Le dernier en date « aurait gagné à être plus abouti au moyen d’objectifs et d’indicateurs spécifiques, mesurables, atteignables, réalistes, et temporels. » Enfin, la modernisation informatique et la simplification des procédures dont la CPS parle depuis le début des années 2010 tarde à se matérialiser, ainsi « la CPS s’est empêchée d’obtenir les gains de productivité attendus ».
Au point que « la chambre est placée dans l’incapacité d’évaluer l’atteinte effectif des objectifs. » La CPS est loin d’être sortie « d’un fonctionnement administratif sclérosé », mais sa direction a indiqué à la CTC qu’un plan stratégique pluriannuel doit être produit par la direction des ressources humaines avant la fin de cette année. En tout cas, le rapport de la CTC qui liste de manière extensive les documents et process à mettre en place pourrait être un guide précieux. À noter que les différents directeurs entendus par la chambre territoriale ont évoqué la pression exercée par les syndicats – 6 mouvements de grève entre 2017 et 2021 – pour justifier des retards pris dans la modernisation de la CPS.
Les recommandations de la CTC
Recommandation n°1 : adopter, à partir de 2024, une nouvelle convention d’entreprise. Recommandation n°2 : rédiger, dès 2023, un nouveau règlement intérieur. Recommandation n°3 : présenter, dès 2023, en conseil d’administration des indicateurs RH pluriannuels pertinents et pérennes, dont la masse salariale. Recommandation n°4 : élaborer et appliquer, dès 2023, un plan stratégique RH pluriannuel dotés d’indicateurs de suivi de type SMART. Recommandation n°5 : définir et appliquer, dès 2023, un cahier complet des procédures, qu’il conviendra de mettre à jour régulièrement. Recommandation n°6 : systématiser, dès 2023, les démarches de contrôle de gestion et de contrôle interne. Recommandation n°7 : élaborer et appliquer, dès 2023, une nomenclature commune entre la DRH et l’agence comptable concernant les pièces justificatives de la dépense en matière de paie. Recommandation n°8 : adresser, dès 2023, à la collectivité de la Polynésie française une demande formelle afin qu’elle instaure dans la règlementation locale les éléments de garantie d’indépendance des membres du contrôle médical, y compris la nomination en conseil des ministres du médecin-chef. Recommandation n°9 : rédiger, dès 2023, les fiches de postes et un référentiel unique des emplois et des métiers. Recommandation n°10 : publier, dès 2023, des prévisions pluriannuelles des effectifs en distinguant les emplois budgétaires des emplois pourvus. Recommandation n°11 : mettre en place, dès 2023, une stratégie interne d’égalité professionnelle réelle et de prévention des situations de violences genrées. Recommandation n°12 : rédiger et publier, dès 2023, une procédure écrite en matière de recrutement accessible aux candidats internes et externes, en y précisant notamment les conditions de reprise d’ancienneté. Recommandation n°13 : rendre compte, dès 2023, de la démarche GPRH dans le cadre d’un rapport annuel à présenter au comité d’entreprise et au conseil d’administration. |