Depuis 15 ans, Gustaaf et Piet Wittevrongel s’attèlent à rénover l’Askoy II, bateau avec lequel le chanteur belge avait vogué en 1974 jusqu’en terre des hommes. Un voilier au passé tumultueux qu’ils avaient récupéré à l’état d’épave en Nouvelle-Zélande, et qui n’attend aujourd’hui plus que des mâts et des voiles pour reprendre la mer. Une nouvelle traversée vers les Marquises est dans tous les esprits, explique notre partenaire Outremers 360°.
Dans le port de Zeebruges, sur la côte belge, deux frères passionnés par le chanteur Jacques Brel veulent offrir une seconde vie à son voilier l’Askoy II, récupéré à l’état d’épave il y a quinze ans sur une plage néo-zélandaise. À en croire Gustaaf et Piet Wittevrongel, ce projet «inouï» n’a jamais été aussi près de son but. Depuis juin, le bateau de 20 mètres pesant 40 tonnes a été sorti de son hangar pour les derniers travaux dans la cabine, l’aménagement d’une cuisine. La coque rouge et bleue semble comme neuve et sa première remise à l’eau, maintes fois retardée par les aléas d’un chantier très coûteux, est désormais programmée pour septembre, assurent les deux frères. Le mât est encore à l’horizontale. Il reste quelques interventions «techniques», explique Gustaaf, l’aîné. «Et puis le feu vert de l’inspection maritime, sans lequel on ne peut avoir de police d’assurance pour aller en mer».
Gustaaf et Piet Wittevrongel, aujourd’hui âgés de 84 et 75 ans, sont intimement liés à l’histoire de l’Askoy II, et de la traversée de deux océans – jusqu’aux îles Marquises – que Brel entreprend en 1974 avec ce yacht alors considéré comme un des plus beaux du monde. Avant de lever l’ancre à Anvers, c’est dans le commerce de voiles et de gréements tenu par le père Wittevrongel, à Blankenberge entre Ostende et Zeebruges, que le chanteur-aventurier (1929-1978) vient s’équiper.
Un bateau passé par le trafic de drogue
Gustaaf y travaille alors comme apprenti. Il raconte qu’il ne reconnaît pas Brel quand ce dernier passe la porte du magasin familial, «à l’improviste, sans s’annoncer». «Je ne savais pas qui me parlait. Je lui dis que son achat va se chiffrer en centaines de milliers de francs belges… Quand il me dit son nom, je comprends qu’il a les moyens de s’offrir un jeu de voiles», poursuit l’octogénaire dans un éclat de rire. «Alors on a fait les voiles pour lui».
Sur l’Askoy II, qu’il a acheté d’occasion à un homme d’affaires anversois, l’auteur de Ne me quitte pas emmène sa compagne Maddly Bamy, avec laquelle il passera la fin de sa vie aux Marquises. Le bateau a eu une vie mouvementée après que Jacques Brel (1929-1978), qui s’était mis à l’aviation, a décidé de le revendre en Polynésie. Selon les Wittevrongel, il y a eu au moins trois autres propriétaires, «des hippies, des trafiquants de drogue etc». Avec le temps la trace du voilier se perd dans le Pacifique, avant de réapparaître au début des années 2000 au détour d’une discussion à la Fondation Brel à Bruxelles, lors d’un hommage au «Grand Jacques». Les frères apprennent que le voilier a fait naufrage en Nouvelle-Zélande où il a ensuite été abandonné.
Des mâts, des voiles… puis l’océan
Désensabler l’épave rongée par la rouille paraît hors de portée. Un amateur belge de yachting a caressé un temps le projet, mis de côté faute d’argent. Les frères Wittevrongel, eux, ne se laissent pas décourager, et décident de relever le défi avec l’aide d’entrepreneurs néo-zélandais qui apportent grues et bulldozers. Et celle d’un transporteur maritime qui accepte de ramener gratuitement de Tauranga (près d’Auckland) vers Anvers la coque du voilier calée entre deux conteneurs. Dans le hangar de Zeebruges, un mur entier de photos témoigne du moment mémorable que fut ce chantier sur une plage des antipodes. «Avant le retour de la marée haute qui l’inondait, on n’avait que quatre heures pour voir le bateau et creuser, tirer, pomper», poursuit Gustaaf. «On a fait ça trois jours et on l’a sorti».
En avril 2008, l’Askoy II était de retour en Belgique. En tout cas ce qu’il en restait : « Le navire n’était qu’une coque tordue et rouillée : les mâts, le pont, le gréement, le moteur, l’intérieur et l’équipement de pont avaient disparu », rappelle le magazine Voile et voiliers. Il aura fallu 15 ans, des centaines d’heures de travaux bénévoles, des partenaire de bonne volonté, généralement animés par la volonté de préserver la mémoire de Jacques Brel, pour qu’il reprenne forme et sorte enfin de son hangar courant juin. Le ketch n’est pas terminé : il doit encore retrouver ses deux mâts, des voiles, de l’accastillage… mais les deux frères ne rêvent déjà que de le faire de nouveau voguer sur un océan. Et l’idée de suivre les pas du chanteur vers la Terre des hommes est bien sûr dans tous les esprits. «Brel l’a fait à deux, mais il faut au minimum six équipiers si on veut retourner aux Marquises dans le futur», lâche Piet Wittevrongel. Rien d’impossible puisque l’intérieur a été réaménagé avec des couchettes supplémentaires.