Après un rapport annuel, en août, qui insistait sur l’urgence de la réforme, le Comité d’orientation et de suivi des retraites a présenté, ce mardi, ses « préconisations ». Aucun doute, le fonctionnement des régimes doit être revu en profondeur dans les quatre prochaines années. Mais la priorité reste de les équilibrer à court terme : une cotisation exceptionnelle déplafonnée, qui pourrait atteindre 1,5% des salaires et 1% des pensions de retraite, est déjà évoquée.
« Il faut que la réalité nous rattrape ». Le COSR, qui réunit les représentants du patronat, des syndicats et des pensionnés n’en est pas à sa première alerte sur l’état des régimes de retraite polynésiens. La réforme de 2019 qui, après les manifestations de l’année précédente, s’était limitée à faire varier quelques paramètres, avait renvoyé les changements structurels aux préconisations de ce comité. Elles s’esquissaient depuis de rapport en rapport, et le « plan de sauvegarde et de pérennisation » présenté ce mardi, et déjà remis au Pays, doit en être une version plus concrète et aboutie. Les mesures présentées, pas toutes étayées du point de vue juridique ou financier, ne restent pourtant que des « orientations », précisent les membres du comité qui ont plusieurs fois dénoncé leur manque de moyens. Le ping-pong entre Pays, CPS et partenaires sociaux n’est donc sans doute pas terminé, mais le document du COSR a le mérite de coucher sur le papier des grands axes de réformes datés. « On n’a rien inventé », précise son président, Thierry Mosser. La plupart de ces propositions ont déjà été évoquées, discutées – et souvent écartées – en « quinze ans de débat » sur les retraites. Quinze ans pendant lesquels le « déséquilibre structurel » des régimes, alimenté par la multiplication des pensionnés, l’absence de création d’emploi, et plus récemment par les pertes d’activité du Covid, n’a fait que se creuser. « Aujourd’hui, aucun Polynésien n’a cotisé suffisamment pour couvrir ce qu’il touche pendant sa retraite, rappelle le représentant du Medef. On a un système qui vit au-dessus de ses moyens (…) et nécessairement il faudra que les futures retraites soient moins favorables qu’elles l’ont été par le passé ». Le ton est donné.
Une cotisation d’urgence ou un déplafonnement
Mais avant de s’attaquer au long terme, le COSR a voulu faire des propositions sur les besoins de trésorerie urgents. Environ 4 milliards de francs de recettes annuelles manquantes que le comité propose d’aller chercher avec une « contribution sociale exceptionnelle d’équilibre ». Elle serait ponctionnée sur l’ensemble des salaires, sans limite de plafond – contrairement aux cotisations classiques – et qui permettrait de renflouer la tranche A de la retraite, la plus large et la plus déficitaire. « Temporaire », elle devra être déterminée, dans sa durée comme dans son taux, par la CPS et et le Pays et « sur la base d’études et de projections ». Le COSR n’est pas décisif en la matière, mais son président, aussi membre du conseil d’administration de la Caisse, y a déposé une proposition qui doit être étudiée ce vendredi. Elle table sur une cotisation de 1,5% – soit, dans un schéma classique, 1% pour la part patronale et 0,5% pour la part salariée – sur tous les salaires, à laquelle s’ajouterait une contribution de 1% sur les pensions de retraite. « Tout le monde doit participer », confirme le représentant du Sdiraf Émile Vernier. « À ce stade ça n’est qu’une préconisation, peut-être que d’autres auront d’autres propositions », rappelle prudemment Thierry Mosser.
D’autres propositions existent en effet. Dimitri Pitoeff, représentant de A Tia i Mua au COSR et à la CPS, veut de son côté mettre au vote l’idée de rehausser le plafond de cotisations de la tranche A à 320 000 francs (contre 264 000 francs aujourd’hui). S’ajoute, comme dans la proposition du Medef, une intégration des 0,54% de cotisation du fonds social retraite au régime de base, qui serait alors « rééquilibré sans toucher aux petits salaires », affirme le syndicaliste. Les salariés et entreprises cotisant à la tranche B verraient en revanche leur cotisations augmenter, au global, de 700 millions de francs, et ce second régime perdrait environ 1,1 milliard de francs de recettes annuelles. « Dans l’urgence la tranche B peut y faire face, grâce à ses réserves, pas la tranche A » estime Dimitri Pitoeff. D’autres, autour de la table, y voient une solution moins franche que la cotisation exceptionnelle .
Quatre ans pour réformer structurellement
Quel que soit le choix du conseil d’administration, la « tranche B », créée en 1995 pour les salaires les plus élevés, devra rapidement évoluer. Voire disparaitre. « Toutes les études qui ont été faites ces dernières années, et même lors de la création de ce régime, montrent qu’il n’est pas viable », pointe Thierry Mosser. Racheter les droits, rembourser les cotisations ? Trop cher. Transférer le régime à un autre organisme ? Possible – des discussions pourraient être ouvertes avec les caisses de retraites complémentaires nationales Agirc-Arrco – mais à plus long terme. « Ce que nous proposons, c’est une fusion des deux régimes de retraites et pour cela il faut qu’ils soient dans le même modèle », reprend le président du COSR. Le comité préconise une hausse progressive, et sur trois ans, du taux de cotisation de la tranche B de 17,4 à 22%. Dans le même temps, et il s’agit là de la réforme la plus profonde de cette feuille de route, le régime A serait transformé en système par point, « plus facile à gérer » pour la caisse, et « plus équitable » – ce dont doutent certains autour de la table. S’ajoutent la refonte de la gouvernance avec la création d’une branche vieillesse autonome au sein de la Caisse, le transfert des cotisations vers l’impôt du financement de tous les dispositifs de solidarité – Yvonnick Raffin semble être sur la même ligne -, la fixation de règles de gestion plus claires (fonds de réserve, évolution systématique des durées de cotisation…). Et des mesures d’économies tous azimuts : durcissement voire suppression des départs anticipés, réforme des retraites pour inaptitude, invalidité, et retraite anticipée pour travaux pénibles, plafonnement ou conditionnement des pensions de réversion ou encore remise en cause de la gratuité des droits en cas de maladie ou même de grossesse (qui pourraient être financés par une source tierce).
Contrôles renforcés et cotisations obligatoires pour les patentés
Surtout, le comité d’orientation exige de « faire cotiser tout le monde ». « Il y a un vrai sentiment d’iniquité des salariés par rapport au minimum vieillesse, précise Thierry Mosser. Un certain nombre de personnes travaillent sans être déclarés ou, quand elles sont patentées, ont une activité professionnelle, ne cotisent pas à la retraite, et quand elles arrivent à l’âge légal, si elles n’ont pas de revenu, demandent le minimum vieillesse ».
Le paradoxe n’est pas neuf : 35 années de cotisations à bas salaire aboutissent dans certains cas à une pension inférieure – après cotisation – au minimum vieillesse. « C’est dissuasif, il vaut mieux tricher qu’être honnête ! » commente Dimitri Pitoeff. Le COSR propose donc d’améliorer les contrôles, en les confiant non plus à la CPS mais à un organisme spécialisé « de type Urssaf », de faire cotiser les « stagiaires, élus ou contrats aidés », et surtout de créer une « adhésion obligatoire de toute personne ayant une activité rémunérée à un système d’assurance vieillesse ». Là encore, le comité ne clôt pas le débat : adhésion des indépendants à la caisse des salariés, à un régime « extérieur » ou création d’un régime spécial ? Aux élus de décider.
Pas validé par tous les syndicats
Autant de propositions qu’il faudra faire valider par des délibérations et loi du Pays. « Nous avons présenté le rapport au gouvernement et nous attendons sa réponse » précise Thierry Mosser, qui rappelle que le rapport du COSR n’est « pas un catalogue » de mesures, mais un « bloc » à discuter dans sa globalité. Comment ces propositions, dont beaucoup pourraient se révéler impopulaires, vont être utilisées par Yvonnick Raffin, qui vient de mettre sur la table une proposition de « TVA sociale » destinée à renflouer la branche maladie ? La question reste en suspens. Et les interrogations pèsent aussi sur l’attitude des partenaires sociaux à l’égard de cette feuille de route. Car si le COSR a justement été créé pour accoucher de préconisations consensuelles, seuls 8 des 13 membres ont voté ces préconisations. Soit les 5 voix patronales – Medef, CPME, FGC, UPPF et Sipof – les deux syndicats de retraités – Sdiraf et Sgarf -, ainsi que le représentant de A Ti’a i Mua. Le représentant de la Jeune chambre économique a préféré s’abstenir, de même que O Oe To Oe Rima, représenté par Mahinui Temarii, qui estime que « tout n’est pas couvert » dans les propositions de réformes.
Les grands absents sont justement ceux qui pourraient mettre du monde dans la rue contre une réforme trop dur : Otahi, la CSIP et la CSTP-FO, qui se sont tous fait très discrets pendant les débats du COSR. « Je laisse mes collègues prendre leurs responsabilités, mais il faut savoir ouvrir les yeux et décider ce que l’on veut », interpelle Dimitri Pitoeff, ancien président du Comité et représentant de A Ti’a i Mua. À l’entendre, aucune proposition, en dehors de celles du COSR, ne permet aujourd’hui de résoudre le problème urgent de déficit. Et à partir de 2026, la pression des départs à la retraite se fera trop forte pour pouvoir réformer, prévient-il. « On a un créneau, on a 4 ans pour réformer et dire voilà le niveau de retraite que l’on va donner, et que l’on peut garantir ».