ACTUS LOCALESÉCONOMIEENVIRONNEMENT Réunion, Guadeloupe, Caraïbes… Le savoir-faire polynésien sur les swac en voie d’exportation Charlie Réné 2024-12-30 30 Déc 2024 Charlie Réné La société polynésienne Airaro, qui a travaillé sur les trois swac mondiaux en fonctionnement, à Bora Bora, Tetiaroa et à Taaone, a signé un partenariat avec un poids lourd français des énergies renouvelables, Albioma. Il doit aboutir, ces cinq prochaines années, à la construction de plusieurs swac dans les outre-mer. La petite structure basée à Papeete a aussi été sollicitée par la Banque mondiale pour faire des prospections aux Caraïbes. Et elle entend bien offrir son expertise pour faire aboutir des systèmes d’air conditionné à l’eau de mer à La Grenade ou en République dominicaine. Lire aussi : Le plan du Pays pour devenir un « phare de la transition écoénergétique » Il y a eu le tout premier projet commercial de l’histoire, inauguré en 2006 à Bora Bora, et qui après une longue panne, rafraichit plus que jamais l’Intercontinenal Thalasso. Il y a eu celui qui a fait parler tout autour de la planète, et que Marlon Brando avait lui-même rêvé de réaliser, à Tetiaroa. Et puis il y a eu « le plus long du monde », celui qui, après un long périple administratif, technique et même judiciaire, a fini de convaincre les sceptiques et les investisseurs, à l’hôpital de Taaone. Depuis bientôt 20 ans, c’est en Polynésie que les swac ont connu leurs plus ardents succès et leurs plus sérieux coups de frais. Mais la technologie aiguise aujourd’hui les appétits bien au-delà des tombants de Polynésie. Pour preuve : le partenariat signé le mois dernier par la société polynésienne Airaro avec Albioma, un poids lourd français des énergies renouvelables. Un contrat qui devrait, enfin, permettre d’exporter le savoir-faire polynésien en matière de « technologies bleues ». Le CHPF a « fini de convaincre » sur l’efficacité des Swac Cette signature n’arrive pas comme une surprise pour cette SAS spécialisée dans les énergies marines qui peut, après une douzaine d’années d’existence, revendiquer son expérience des trois swac polynésiens. « Bora », « Tetia » ? Le cofondateur de l’entreprise David Wary en avait supervisé la réalisation, avant de reprendre leur maintenance avec Airaro, jusqu’en 2019. Le Taaone ? La société en a assuré, contre vents et marées, l’assistance à maitrise d’ouvrage pour le compte du Pays. Bref, la petite structure ancrée en Polynésie n’a plus à prouver son expertise dans ces systèmes d’air conditionné à l’eau de mer (Sea-Water Air Conditioning) qui utilisent de longs tuyaux pour aller chercher de l’eau froide dans les profondeurs et faire chuter la note d’électricité des grands consommateurs de « clim’ « . Si la technologie intrigue depuis de longues années – Airaro avait déjà été approchée et avait répondu à des appels à projets extérieurs dès 2015, sans succès – c’est bien la mise en opération du swac du CHPF, qui a fini de convaincre. Car contrairement aux deux hôtels du groupe Pacific Beachcomber pionniers en la matière, le Taaone consommait de l’électricité à plein régime avant son raccordement. « Avec l’hôpital, on a pu démontrer que c’est plus de 300 millions de francs d’économie tous les ans sur la facture électrique, et ça a pesé dans la compréhension que les décideurs nationaux ont eu de cette technologie, explique Jean Hourçourigaray, l’autre cofondateur de Airaro et qui en est aujourd’hui le président-directeur général. Ça a été la démonstration qu’on pouvait équiper un acteur public, dans une modalité d’appel d’offres public, et d’en tirer tous les bénéfices en termes économiques, en l’occurrence pour le système de santé ». https://www.radio1.pf/cms/wp-content/uploads/2024/12/SWAC-1.wav AFD, Ademe, Caisse des dépôts et même Commission de régulation de l’énergie nationale… Devant ce succès, toutes les institutions financières françaises, souvent à la recherche d’investissements correspondant à leurs objectifs de développement durable, ont fini par donner leur blanc-seing au porteur de projets polynésiens, encouragé à se tourner vers le reste des outre-mer. La Réunion, la Guadeloupe, les outre-mers… Difficile de dire que le swac y est un inconnu. Aux Antilles ou à la Réunion, des appels d’offres ont été lancés ces dix dernières années. Des acteurs locaux ou nationaux, de grands groupes pour la plupart, avaient décroché les marchés… sans jamais réussir à aboutir dans leurs projets. Par manque d’expérience, ou par excès d’appétit, analyse Jean Hourçourigaray : « Certains sont arrivés en se disant, le swac c’est un tuyau, plus il sera gros, plus il rapportera de l’argent. Faux. Il faut que le tuyau soit adapté et optimisé aux besoins du client », note le professionnel, qui explique aussi la réussite de sa société par l’efficacité des études préparatoires. « Le fait de l’avoir réussi trois fois nous permet de savoir ce que l’on veut trouver ». Et Airaro pense avoir trouvé dans les outre-mer français : deux de ses demandes de subventions – à environ 120 millions de francs chacune – sont à l’instruction à la Réunion et en Guadeloupe pour la réalisation d’études sur des sites déjà ciblés. Mais pour avancer dans la concrétisation de ces projets coûteux – entre 4 et 6 milliards de francs chacun – la petite SAS polynésienne avait besoin d’un partenaire de poids. C’est l’objet du partenariat avec Albioma. Ce producteur électrique très implanté en outre-mer, et dans une moindre mesure dans l’Hexagone et à l’international, dispose déjà de centrales thermiques converties à la biomasse, d’un parc photovoltaïque important de Mayotte à la Guyane en passant par les Antilles et la Réunion, et depuis plus récemment d’unités géothermiques à l’international. Le swac lui permet d’ajouter une « quatrième corde à son arc ». Et elle a de quoi la financer : récemment rachetée par le fonds d’investissement américain KKR, Albioma n’a « aucun problème à financer plusieurs centaines de millions d’euros d’actifs ». Objectif, donc : concrétiser, en cinq ans, le potentiel des Swac dans les collectivités ultramarines. « On a déjà deux projets désignés et fléchés, on souhaite en désigner deux ou trois autres dans l’intervalle, continue Jean Hourçourigaray. Et se donner cinq ans pour fabriquer le premier ou les deux premiers swacs, c’est un échéancier tout à fait raisonnable. On a su faire plus vite. On pense qu’on signe un accord tout à fait atteignable, dans leurs objectifs comme les nôtres ». https://www.radio1.pf/cms/wp-content/uploads/2024/12/SWAC-2-albioma.wav … Avant les Caraïbes, avec la Banque mondiale ? Le partenariat avec Albioma est limité à l’outre-mer et le groupe ne prendra aucune part dans Airaro. La petite société, nommée en référence à une princesse de Raiatea, qui « évita à son peuple la noyade » lors d’une vengeance divine, restera donc basée en Polynésie et peut librement s’intéresser à d’autres marchés. Certes les Swac ne peuvent pas être implantés partout : pour être efficace, ces tuyaux doivent servir des gros consommateurs de climatisation – dans des pays chauds, donc – installés à proximité d’une côte où la bathymétrie (le relief des profondeurs) permet d’accéder rapidement à des eaux froides. Comme c’est le cas au pied des vertigineux tombants polynésiens. Des investisseurs saoudiens, intéressés, avaient par exemple rebroussé chemin en apprenant que les eaux de la mer Rouge étaient trop chaudes en profondeur pour être utilisés efficacement. Les promoteurs ciblent aussi en particulier les territoires où l’électricité est onéreuse, et donc l’investissement plus vite rentabilisé. Ces conditions, Airaro a été chargée, en 2023, de les trouver aux Caraïbes par la Banque mondiale. Une première pour une entreprise polynésienne, qui plus est choisie sur appel d’offres face à des grands groupes mondiaux. Dix-sept pays de la zone ont ainsi été auscultés par l’entreprise polynésienne, 25 projets potentiels ont été identifiés… Et deux d’entre eux, à La Grenade et en République dominicaine, devraient faire l’objet d’une nouvelle mise en concurrence pour des études plus poussées – et plus coûteuse, avec un budget estimé à 240 millions de francs par appel d’offres. Des études qui détermineront, d’ici deux ans, si l’institution financière internationale finance ou non les projets complets. Airaro compte bien sûr être sur les rangs pour remporter ces marchés. Encore du potentiel en Polynésie En attendant, c’est aussi en Polynésie que la société voudrait voir des projets avancer. Car il reste du potentiel pour les Swac au fenua et le Pays a inscrit dans sa feuille de route sur l’économie bleue le développement de nouveaux projets locaux. L’idée, un temps discutée, d’un Swac de la « cité administrative » de Papeete, qui alimenterait les bâtiments publics le long de l’avenue Pouvanaa, est jugé aujourd’hui irréaliste : « il faudrait faire des travaux importants dans tous les immeubles », pointe Jean Hourçourigaray. C’est plus à l’Ouest qu’il faut chercher. « On n’en aura pas des dizaines, mais par contre il est évident que l’aéroport sera, dans sa future configuration, une plateforme qui pourrait accueillir un swac. Ou si demain, la relance du Village tahitien se faisait, l’ajout d’un swac ferait que l’offre touristique de ce complexe serait à 75% renouvelable – 50% serait amenée par le Swac, avec un réseau électrique qui devrait atteindre lui-même les 50% de renouvelable. 75%, c’est un objectif qui nous semblait encore inatteignable il y a encore une décennie ». https://www.radio1.pf/cms/wp-content/uploads/2024/12/SWAC-3-en-polynesie.wav La petite société ne s’appuie aujourd’hui que sur ses deux fondateurs, mais qui compte bien ré-étoffer ses équipes – qui avaient fondu pendant le Covid – pour atteindre une dizaines de personnes. Pour travailler sur les swacs mais pas seulement : Airaro milite aussi pour voir la Polynésie être à nouveau pionnière en matière d’énergie thermique des mers. Une technologie soeur des swac, qui permettrait au fenua de parfaire son avance et son image en matière de « blue tech » et, là encore, d’exporter son savoir-faire. La construction d’un premier « démonstrateur » d’ETM fait d’ailleurs partie des objectifs mis en avant par le gouvernement dans sa feuille de route de l’économie bleue. Airaro se verrait plutôt passer directement au stade d’une unité de production. La balle est, de ce côté là, dans le camp du Pays. Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre)Cliquez pour partager sur Twitter(ouvre dans une nouvelle fenêtre)Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre)Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre)