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Santé : le cannabis thérapeutique entre témoignages et vérités scientifiques

Après le cannabis et le droit, la deuxième journée du colloque sur le cannabis en Polynésie a fait le focus sur le cannabis et la santé. De nombreux intervenants se sont succédé pour expliquer les bienfaits vérifiés du cannabis thérapeutique, mais aussi l’envers du miroir concernant le cannabis à but récréatif et les effets d’une consommation précoce ou quotidienne.

La journée a débuté par une intervention de Taivini Teai, docteur en chimie qui a fait un historique de l’utilisation du cannabis ainsi que de son expansion à travers le monde. Originaire d’Asie centrale, la domestication et les premières cultures de cette plante remontent à la période glaciaire ou époque Pléistocène (-2,5 M à – 12 000 ans avant J.C.) puis elle migre en Inde, au Moyen- Orient et en Europe. À noter que sa première représentation connue sur des planches de botanique remonte au 2e siècle et l’on trouve aussi des représentations stylisées de la feuille de cannabis sur des bas-reliefs égyptiens. En France c’est au 12e siècle quelle est représentée pour la première fois sur un parchemin.

Si on retrouve trace de ses premières utilisations dans la fabrication de fibres puis de textiles, c’est vers – 5000 avant J.C. qu’elle est utilisée dans la pharmacopée chinoise pour soulager la fatigue, les rhumatismes et la malaria, car ses propriétés biologiques sont pléthore. Anti oxydante, anti inflammatoire, anti spasmodique, analgésique, neuroprotectrice et hépato-protectrice. Déjà dans ces temps reculés le cannabis était utilisé aussi pour un usage récréatif.

Le potentiel du cannabis pour les huiles essentielles

Isabelle Vahirua-Lechat est la première chercheuse polynésienne à s’intéresser au cannabis afin d’en tirer de l’huile essentielle, c’était en 1996 à l’Institut Malardé, et pour cela il lui a fallu l’autorisation du procureur de la République pour pouvoir s’en procurer quelques feuilles.  La chercheuse a identifié plusieurs molécules rentrant dans la composition du cannabis : les pinènes et le myrcène principalement utilisés dans la parfumerie; le terpinolene utilisé dans des parfums d’ambiance genre odeur de pin et désodorisant ; le terpinene pour les arômes et parfums tout comme le bêta caryophyllene qui est aussi un anti-stress et un anti-douleur que l’on retrouve également dans le poivre et le clou de girofle; enfin le humulene qui est un anti inflammatoire présent dans le houblon, la coriandre et aussi le clou de girofle.

Pour Isabelle Vahirua-Lechat, pas de doute, la feuille de cannabis présente un panel de molécules d’intérêt économique, mais aussi d’intérêt thérapeutique potentiel et cela tant dans la parfumerie que l’industrie chimique.

Un public convaincu par les bienfaits du cannabis thérapeutique

S’il fallait convaincre le public des bienfaits de l’huile thérapeutique de cannabis, des témoignages de malades aux diverses pathologies ont été diffusés.  Ils sont unanimes et vantent tous ses mérites. « Ma femme souffrait de crise d’épilepsie en moyenne six fois par mois et rien n’y faisait. Je ne pouvais pas la laisser seule, j’avais peur. Depuis 2 ans que l’on utilise l’huile thérapeutique de cannabis, ses crises ont diminué pour passer à 2 ou 3 par trimestre et je peux la laisser seule sans crainte. Les médicaments n’ont rien apporté contrairement au cannabis » relate un témoin.

D’autres atteints de pathologies plus lourdes, telles que cancers ou scléroses en plaque, qui réclament des traitements contraignants aux effets secondaires nombreux, prennent fait et cause pour cette plante. Ils expliquent que grâce à elle, ils restent actifs, souffrent beaucoup moins et ne subissent plus le contre coup des traitements lourds comme la chimiothérapie. « On retrouve une vie normale » assurent-t-ils, expliquant que grâce au cannabis thérapeutique, ils ont réduit leur consommation de médicaments sans que leur santé n’en pâtisse, car ils sont toujours suivis par des médecins qui pour certains approuvent à demi-mot cette thérapie.

Des bienfaits reconnus par les scientifiques

Des bienfaits reconnus par les scientifiques, dont Daniele Piomelli, neuroscientifique américain, directeur d’un centre d’études du cannabis à Los Angeles. Il regrette toutefois l’illégalité du cannabis, déclarée par les autorités américaines en 1937, qui a ralenti les chercheurs forcés de poursuivre leurs travaux sous le manteau. Ce neuroscientifique a, en 2017, effectué un classement des effets du cannabis thérapeutique chez l’homme. Cinq classifications qui vont de « concluant » à « insuffisant ».

Concernant les effets « concluants », c’est-à-dire vérifiés scientifiquement, le cannabis à des effets bénéfiques pour lutter contre les nausées d’après chimiothérapie. Il a des effets « substantiels », à savoir non définitifs, concernent les douleurs chroniques et la spasticité (complication secondaire courante de certaines affections) dans le cas de sclérose en plaques ; des effets dits « modérés » sur l’apnée et les perturbations du sommeil, et des effets « limités » sur les pertes de poids des malades du Sida, ou sur le syndrome de Tourette. Enfin, concernant les effets « insuffisants », ceux pour lesquels les scientifiques ne disposent d’aucune preuve d’efficacité, ils concernent l’anorexie, le colon irritable, l’épilepsie et les maladies de Parkinson et Huntington.

Les méfaits du cannabis récréatif

Après les éloges du cannabis thérapeutique, applaudi à tout rompre par un public acquis à sa cause, il fallait bien faire retomber un peu l’enthousiasme des personnes présentes car on frôlait l’apologie de cette plante qui, rappelons-le, fait partie de la liste des substances classées comme stupéfiants en France. Et c’est le docteur Bourdoncle, médecin addictologue au centre de consultations spécialisée en alcoologie et toxicomanie à Papeete qui cette fois s’est attaqué aux méfaits de cette plante quand on l’utilise de manière récréative et répétée.

Pour l’addictologue, la consommation du cannabis en Polynésie commence trop tôt chez les adolescents, le cerveau se développant jusqu’à l’âge de 25 ans, et cela risque d’entraîner des problèmes physiques, cognitifs et psychiques. Au niveau physique, il évoque des risques « de fréquence cardiaque et tension artérielle élevées et des risques d’aggravation de pathologie pulmonaire. » Concernant les problèmes cognitifs, « faute d’attention, problème de mémoire et de dextérité » quant aux risques psychiques, « psychose, dépression et addiction. » Et de conclure, « La légalisation n’enlève pas les risques de la consommation du cannabis, ce n’est pas une panacée.»

Demain, pour la troisième et dernière journée, le colloque aura pour thème « cannabis et économie ».