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Sarah Nui 2: les avocats minimisent la carrure de leurs clients

Pour cette dernière journée de procès, ce sont les avocats qui ont été entendus par le tribunal. Si certains ont tenté de minimiser l’implication de leurs clients dans le trafic, Me Lau, en charge de la défense de Maitai Danielson, a joué la carte de l’innocence. Quant à Me Bennouar, qui assure la défense de Tamatoa Alfonsi, il a estimé que l’on voulait faire porter un costume trop grand pour lui à son client.

Me Chouini, qui assure la défense de Franckie Tumahai contre lequel dix ans de prison ferme sont requis, a tenté de minimiser l’implication de son client dans le trafic. Du moins en ce qui concerne les faits d’importation d’ice. Pour elle, « on lui reproche d’avoir été complice d’Alfonsi et de Danielson dans l’importation d’ice. Mais aux dates indiquées pour certaines importations, il était en détention. » Elle demande qu’il soit relaxé pour les faits d’importation, reconnaissant toutefois que l’on peut lui reprocher le délit d’association de malfaiteurs.

Sur la réception des mules à son domicile de Tipaerui, notamment Paul Johnson, elle estime qu’il y a beaucoup d’incohérences, comme sur la quantité d’ice. « Il a reconnu avoir réceptionné de l’ice amenée par Johnson, mais il n’y avait pas 2 kilos comme le dit Heimata Caroll, qui a déposé Johnson chez Tumahai. » Elle ajoute, « beaucoup de personnes ont entendu un tas de choses mais rien de concret. Il est prêt à prendre ses responsabilités mais pas pour des actes qu’il n’a pas commis. » Sur les réquisitions du procureur, à savoir 10 ans de prison ferme, elle estime qu’« on veut le mettre à l’ombre de façon définitive. Il a 52 ans et 10 ans, c’est beaucoup. Il a reconnu son implication. Vous allez le punir mais ne le punissez pas sur des faits qu’il n’a pas commis. » Elle demande une diminution de sa peine assortie d’un sursis probatoire.

« La marque Sana, ce n’est pas Danielson c’est Alfonsi »   

Maitai Danielson, tout au long du procès, a nié toute implication dans le trafic, malgré de nombreux témoignages et des écoutes téléphoniques à charge contre lui. Me Lau, son défenseur, s’est donc employé à décrédibiliser ces témoignages, sans évoquer toutefois les écoutes téléphoniques.

Avant de rentrer dans le vif du sujet, il a fait un petit historique des premiers pas de l’ice en Polynésie. « La première affaire d’ice en Polynésie remonte à 2004 et c’était la Vahine Connection. Les peines données à l’époque étaient de 10 ans et on ne peut pas dire qu’elles ont été dissuasives. »

Pour Me Lau, si le juge d’instruction a mis sur un pied d’égalité, Maitai Danielson et Tamatoa Alfonsi, c’est à cause des photos postées par Alfonsi sur sa page Facebook, « où on voit mon client s’afficher avec des sachets d’ice à la main, et ici à Tahiti on a vite fait d’établir que mon client et Alfonsi étaient associés. Mais est-ce que ces photos font d’eux des associés ? Ils faisaient la fête d’une drôle de manière, peut-être, mais ils faisaient la fête c’est tout. Alors on peut tout supposer mais il faut démontrer. »

« Il n’a pas de relation avec le cartel de Sinaloa »

Sur ses nombreux passages à la frontière mexicaine, 40 enregistrés en 10 mois, il estime qu’il s’est expliqué sur ce fait, « il allait surfer ou faire la fête. » Toutefois il a omis d’expliquer pourquoi ces passages correspondaient quasiment tous à l’arrivée de mules chargées de transmettre des sommes d’argent au réseau.

Sur la pièce consacrée au conditionnement d’ice qu’a déclaré avoir vue Niuhi Marere dans l’appartement de Danielson à San Diego, dans sa déposition, « il est revenu sur sa déposition disant qu’il l’avait imaginée. Il avait fumé et il psychotait. » Sur le message d’Alfonsi où celui-ci fait passer le mot à ses sbires qu’il ne fallait pas parler de Danielson « car ça mettrait en l’air tout ce que j’ai fait pour le sortir de là », son avocat voit en cela une preuve de l’innocence de Danielson. « Ça veut dire qu’il n’avait rien à voir dans les opérations d’Alfonsi. Mon client n’y est pour rien. Il ne faut pas y voir autre chose. Ce sont des interprétations. Il n’a pas de relation avec le cartel de Sinaloa. C’est Alfonsi, pas Danielson. Je ne vois pas comment on peut dire que c’est son associé. » Et de marteler, « la marque Sana ce n’est pas Danielson, c’est Alfonsi. »

Pour lui les infractions qu’on reproche à Danielson, les importations d’ice, l’association de malfaiteurs, ne sont pas établies. Il l’assure, « en aucun cas il est l’associé d’Alfonsi. Les millions qui ont transité c’est pour Alfonsi, pas pour Danielson. » La seule infraction qu’il reconnait qu’on peut reprocher à son client, « c’est d’avoir passé la frontière mexicaine avec Marere qui transportait de l’ice dans son short. » Et de conclure, à propos de l’association Alfonsi-Danielson, « Si leur vie se sont croisées, tout les sépare. » Quant à la peine réclamée, « on demande 15 ans avec une peine incompressible de 10 années. C’est énorme. »

« Au mieux Alfonsi, c’est un caïd d’un bloc de banlieue parisienne »

C’est Me Bennouar, en charge de la défense de Tamatoa Alfonsi,qui a plaidé en dernier. Et pour l’avocat, « on essaie de lui mettre un habit qui n’est pas le sien. Ce n’est pas le boss. » Et pour prouver cette assertion, « il s’est affiché de la manière la plus grossière ce qu’aucun gros trafiquant ne ferait. Il a fait le malin comme il l’a dit. Au mieux Alfonsi c’est un caïd d’un bloc de banlieue parisienne. Les vrais professionnels se comportent différemment. Ils sont intraçables. »

Reprenant la phrase du juge d’instruction qui notait dans l’ordonnance de renvoi à propos du trafic d’ice, « il y aura un avant et un après Alfonsi », il assure qu’Alfonsi « n’est qu’un épisode dans l’histoire de l’ice en Polynésie. »

Idem sur un autre passage de l’ordonnance de renvoi où le juge estime qu’Alfonsi « s’est emparé de la totalité du marché de l’ice en Polynésie. » « C’est faux » assure-t-il, et il rappelle l’affaire Kikilove qui, « en 2017 avait reconnu avoir importé plus de 30 kilos d’ice, et quand on reconnaît c’est en général a minima. »

« On entretient le fantasme du cartel de Sinaloa pour en faire un dossier important »

Il l’affirme, « si Alfonsi a fourni de l’ice, ce qu’il a reconnu, il n’a pas fourni la totalité qu’on lui reproche [40 kilos d’estimés]. Il faut le juger sur ce qu’il a fait et pas sur des suppositions. » Il n’en démord pas, « le dossier Sarah Nui 2 c’est Kikilove en moins important, à part peut-être le nombre de prévenus. On entretient le fantasme du cartel de Sinaloa pour en faire un dossier important. »

Pour lui, à Tijuana, Alfonsi « n’est qu’un petit dealer au même titre que ceux qui dealent ici. Quand il a été arrêté, il n’a pas résisté, il était content de rentrer en Polynésie. Il n’avait pas la belle vie au Mexique. Pas de véhicule de luxe, pas de belle propriété. On n’a rien retrouvé là-bas. Il était camé jusqu’au bout. »

Il l’affirme, « Alfonsi malgré tout ce que l’on peut lui reprocher n’est pas monsieur ice de Polynésie. On est pas dans la toute puissance du trafiquant qui maîtrise ses gars. Il n’est pas le créateur de ce réseau et le trafic d’ice prospèrera toujours après lui. Il n’y aura pas d’avant ni d’après Alfonsi. Il y aura une continuité, c’est tout. »

Quant à la peine réclamée à son encontre, à savoir 15 ans de prison ferme avec 10 ans de sûreté, il fait remarquer que « même Tumahai qui est un monument de l’ice n’a pas eu le même traitement. Quinze ans avec 10 ans de sûreté c’est le tuer. C’est du jamais vu et dans ce dossier on veut faire du jamais vu. Il doit avoir une chance de s’en sortir. »

Le délibéré sera rendu vendredi en fin de journée.