Pour cette troisième journée du procès Sarah Nui, le tribunal s’est intéressé à Nikis Calmajis, considéré par les revendeurs-consommateurs qui gravitent autour de lui comme étant « au centre du trafic » et en cheville avec Tamatoa Alfonsi et Maitai Danielson. La justice le soupçonne d’être à la tête d’un petit réseau. En outre, parce qu’il était steward à l’époque des faits, elle le soupçonne aussi d’avoir financé et pris part à l’importation d’ice.
C’est par les auditions de deux revendeurs du « réseau Calmajis » que la journée a débuté. Le premier, Teina Izal, 26 ans, au casier vierge explique avoir connu Calmajis par un de ses anciens potes de lycée. Si au départ, Izal se bornait juste à fumer de l’ice avec Calmajis, « après, pour payer ma conso, j’ai commencé à vendre de l’ice pour lui (…) il a des clients réguliers que je retrouvais dans le parking de son immeuble. » Un témoignage appuyé par des écoutes et aussi par une déposition de Buchin [condamné dans le 1er volet] dans lesquelles il apparaît qu’Izal est « un petit dealer qui travaille en direct avec Calmajis qui lui donnait de l’ice. »
Alors que la justice soupçonne l’ancien PNC d’avoir pris avantage de sa profession pour organiser un voyage au Mexique en envoyant Niuhi Marere remettre un million de Fcfp à Alfonsi, pour avoir 200 grammes d’ice, Izal confirme. « Nikis projetait d’utiliser Marere pour ramener de l’ice du Mexique et comme au moment de rentrer sur Tahiti, Marere a paniqué et n’a rien ramené, Nikis n’était pas content. »
Pour lui, « il était au centre du trafic, c’était lui la tête, il est en cheville avec Alfonsi et Danielson à qui il envoie de l’argent et qui le fournissent en ice. »
« J’étais l’esclave de celui qui a le produit. »
C’est au tour de Niuhi Marere d’être appelé à la barre. L’ancien champion de surf, lors de sa déposition, avait tout déballé. Qu’il revendait pour Calmajis afin de consommer gratuitement, qu’il a participé à l’envoi de mandats pour Alfonsi alors au Mexique, « qui avait besoin d’argent car il avait une arme braquée sur sa tête », bref, « j’étais l’esclave de celui qui a le produit. »
Sur son utilisation par Calmajis comme mule, il explique : « Je suis parti à sa demande pour amener de l’argent à Alfonsi et ramener 200 grammes d’ice. J’ai récupéré la drogue à Tijuana et j’ai passé la frontière mexicaine avec. » Fait que Tamatoa Alfonsi confirme. Il poursuit : « Comme j’avais fumé et que j’était complètement défoncé, j’ai fait une grosse crise de flip. Je voyais des agents de la DEA (Drug Enforcement Administration, ndlr) partout, je n’étais pas bien du tout. » À l’évocation de cet épisode, les prévenus dans le box rigolent et se poussent du coude. Il reprend : « Je n’ai pas pris la drogue avec moi pour prendre l’avion du retour, je flippais. » Dans un sens, son bad trip lui a sauvé la mise puisque, « à peine je passe la douane US qu’on me met de côté et que les douaniers me fouillent et me demandent ‘où sont les autres mules ?’ » Selon lui, après ce coup foireux, Calmajis l’aurait mis de côté.
Lors de sa déposition, il avait raconté que Danielson avait consacré une pièce dans son appartement de San Diego au conditionnement d’ice. Selon lui, c’était là où il planquait la drogue, dans les parois des glacières et parfois dans des appareils électroniques, type karaoke ou autre. Toutefois à la barre, il prétend l’avoir imaginé : « j’étais défoncé, j’ai cru la voir, je ne l’ai pas vu faire. »
« J’étais accroc, aveuglé, je suis tombé dans la drogue, je suis une grosse merde. »
Interrogé par le juge, Danielson, impressionnante montagne de muscles, reconnaît avoir « passé la frontière mexicaine avec lui, mais je lui ai déconseillé de passer la drogue. C’est après qu’il a flippé. Mais l’histoire de la pièce de conditionnement, c’est faux. (…) Je n’ai qu’une pièce avec un lit. » Puis s’adressant au juge, « vous avez l’acheteur [Calmajis], vous avez la mule [Marere] j’vois pas ce que je viens faire là-dedans. »
Toutefois il reconnait avoir gardé chez lui la drogue que Marere n’avait pas voulu embarquer, et comme il n’en voulait pas il l’a donnée à un surfer dont le nom a été évoqué dans le premier volet de l’affaire, Adam D’Esposito, retrouvé sans vie au Mexique en septembre 2018.
Niuhi Marere fini son témoignage en faisant son mea culpa : « j’étais accroc, aveuglé, je suis tombé dans la drogue, je suis une grosse merde. »
Avant de clore l’audition, son avocate demande à ce que l’on diffuse une vidéo extraite de l’émission Waaaaves dans laquelle il explique que la drogue « ce n’est pas bien etc… ». Les prévenus explosent de rire dans le box. Le juge le regarde alors et lui dit, « un petit conseil M. Marere, la prochaine fois que vous faites une campagne de prévention contre l’ice, changez de t-shirt. » Il arborait effectivement un magnifique t-shirt Bob Marley haut en couleurs. La matinée se termine sur d’autres éclats de rire.
Un PNC dans la zone de turbulence
Celui qui ne rigole pas vraiment à la reprise de l’audience, c’est Calmajis. Grand, élancé, « bogosse », c’est à son tour d’être mis sur le grill. Et il a eu le droit à une très longue cuisson. Durant ses nombreuses auditions, il a tout nié. Il a juste reconnu être un consommateur festif et vendre un peu d’ice de temps à autre pour payer sa consommation.
Ce sera sa ligne de défense et il la tiendra tout le long. Malgré une pléthore de témoignages qui le désignent comme jouant un rôle important dans le trafic, et un nombre d’écoutes téléphoniques qui révèlent des conversations plus qu’ambiguës, il nie toute participation. « Je reconnais avoir fait la fête, donner de l’ice, en consommer et en revendre pour ma conso personnelle, mais je nie totalement les importations. » Il n’en démordra pas.
« Pourquoi tous ces témoignages à charge contre vous ? » lui demande le juge. « Parce que je n’ai pas d’amis. » « Oui vous avez beaucoup d’ennemis menteurs. » « C’est ça. » Le juge dresse alors la liste assez longue de ceux qui l’ont « chargé ». « Ils ont des raisons de vous en vouloir ? » « Euh, non ». Seule explication, « c’est des malades, ils croient que je les ai balancés, alors ils inventent. »
Le juge lit une retranscription d’écoutes entre lui et Tamanu Oti [condamné dans le premier volet] concernant un client qui les avait truandés : « On va le mettre dans une cage avec des pit-bulls.» Calmajis répond « On rigolait. » Quant au voyage de Niuhi Marere au Mexique, payé par lui, il explique, « il était dépressif et c’est lui qui m’a demandé de lui payer le voyage. »
« Je ne comprends pas, je ne comprends rien »
Sur l’argent qu’il a envoyé à Danielson, « pour payer son loyer », le juge lit le compte rendu de l’écoute téléphonique. Danielson y apparait comme tendu et plutôt remonté contre lui. « J’ai un boss là avec moi et il n’y a pas assez d’argent. Et il y a toute sa clique là dehors. Ils sont chauds, il faut 2 000 dollars de plus. » Il n’avait recu que 90 000 Fcfp. Calmajis renvoie alors de l’argent. « Alors, vous lui envoyez de l’argent pour qu’il paie son loyer, et il vous engueule ? Et après vous lui renvoyez 2 000 dollars ? » Il assure que c’était pour payer son loyer, car Danielson avait des ennuis d’argent.
À chaque fois que le juge lui lit les transcriptions des écoutes téléphoniques, Camaljis pense s’en sortir par une réponse évasive ou par « je ne comprends pas, je ne comprends rien. » « Encore une conversation ésotérique à laquelle vous ne comprenez rien », lui assène le juge.
Il faut lui reconnaitre une certaine assurance, même si intérieurement ça doit se nouer et se contracter. « Vous savez monsieur Calmajis, avec toutes ces conversations téléphoniques, on pourrait croire que vous êtes impliqué dans un trafic de drogue », lui lance le juge qui, plus sérieusement, poursuit, « vous êtes quelqu’un d’intelligent, vous avez le droit de dire ce que vous voulez, mais les témoignages et les écoutes vous accablent et vous, vous continuez à nier. » « Cela porte à confusion, je l’avoue. »
« Je suis au mauvais moment au mauvais endroit »
Le juge s’adresse alors à Danielson et revient sur la fameuse conversation au sujet de son loyer. Il explique : « Je devais récupérer 2 000 dollars et je n’ai recu que 90 000 Fcfp. » « D’accord, mais le boss et la clique c’est quoi ? » « Le boss, c’est mon proprio et la clique, c’était des gens qui attendaient pour louer l’appart’.» « Et quand vous dites que vous allez acheter le truc, c’est quoi ? » « Cela veut dire que je vais payer le loyer, vous savez, avec 90 000 Fcfp, on achète pas beaucoup de drogue. » « Ça, c’est pas sûr, mais en tous les cas, 2 000 dollars pour un loyer, c’est cher .» « Je devais plusieurs mois de loyer. »
Le juge s’adresse à Calmajis : « Pour résumer, vous êtes lourdement mis en cause par des témoins, par des écoutes, par une mule, et vous nous dites que tout cela ce sont des affabulations pour vous mettre en cause. Vous ne comprenez pas vos propres conversations téléphoniques, mais vous n’êtes pour rien dans l’importation de drogue. » « J’ai vendu un peu, c’est tout, quelques dizaines de grammes ! »
Le juge termine alors par un mauvais augure : « Vous savez, soit le tribunal va vous croire et vous serez alors relaxé, soit vous allez prendre plus que prévu. » « Je ne vais pas avouer ce que je n’ai pas fait ! Il y a beaucoup de mensonges et de rumeurs, et puis je suis au mauvais moment au mauvais endroit »
Le procureur resté muet jusqu’à présent prend la parole. « Monsieur Calmajis, votre position est intenable, et je vais enfoncer le clou » et de lire une série d’écoutes qui font état de menaces, d’hommes de mains etc…. « Vous êtes un homme très sympathique, monsieur Calmajis. » Le coup de grâce.