25 prévenus, 14 avocats, une dizaine de gendarmes pour escorter les cinq prévenus extraits de Nuutania, la moitié des bancs de la salle d’audience occupée par les autres prévenus placés sous contrôle judiciaire, des dossiers d’instruction par dizaines, tel est le visage de la salle du tribunal qui accueille depuis ce lundi le volet deux de l’affaire Sarah Nui.
Les premières heures de la matinée ont vu les 25 prévenus défiler à la barre, à l’appel de leur nom, afin que le juge leur rappelle les faits qui leur sont reprochés. En vrac, complicité de tentative d’importation non autorisée de stupéfiants, importation de stupéfiants, transport de stupéfiants, détention de stupéfiants, offre ou cession de stupéfiants et association de malfaiteurs. Des faits lourdement sanctionnés par la loi, entre 10 et 20 ans de réclusion.
Après cette première prise de contact, pour certains, avec la barre de la salle d’audience, ils ont été rappelés par le juge afin de faire un point sur leurs déclarations en garde à vue. Si quelques-uns ont confirmé leurs déclarations, d’autres les ont infirmées ou rectifié certains points.
Deux prévenus ont particulièrement marqué cette mise au point. Maitai Danielson et Franckie Tumahai. Le premier dans sa persistance à nier les faits, réfutant toute implication dans le trafic, d’autant qu’il est considéré comme l’une des deux têtes pensantes du réseau avec Tamatoa Alfonsi. Il va jusqu’à justifier le rôle qu’on lui prête par « c’est facile de tout mettre sur le dos d’un gars en prison » et il rappelle que sa devise c’est « No ice in paradise » comme si cela devrait suffire pour le blanchir.
Tumahai le repenti
Quant à Franckie Tumahai, c’est par sa volonté de tout balancer qu’il s’est fait remarquer. À 52 ans, dont près de 20 derrière les barreaux en peines cumulées, il semble las de cette vie et cela se voit sur son visage. Des cernes aux yeux, un teint blafard, maladif, et une tonsure grisonnante.
Au juge qui le questionne sur son parcours, « à peine sorti de prison, vous replongez », il réplique, « la faute à pas de chance. Dès que je touche à l’ice, je pars en couille. » On apprend qu’il a écrit une lettre au juge d’instruction dans laquelle il déclare vouloir « tout balancer, dire la vérité et me soulager. » Il précise aussi, « cela sans impunité, juste un cumul des peines ». Toutefois il prévient : « ce sera dangereux pour moi et je vous demande de me protéger. »
À la question du juge sur la raison de sa prise de conscience, il affirme : « ce sont les peines que l’on risque, les saisies de nos biens, ce n’était pas comme cela avant. » Mais pour bien montrer que ce n’est pas uniquement la peur de la sanction qui le motive, il ajoute : « et puis c’est devenu n’importe quoi. Avant il n’y avait que les riches qui touchaient à l’ice, et maintenant ce sont toutes les classes sociales, les quartiers sociaux, les mineurs. Maintenant, tout le monde touche à l’ice. »
C’est sur ces paroles pleines de bons sentiments et de prise de conscience des ravages causés par la meth que s’est achevée la matinée.
Des intentions non suivies d’effets
Dans l’après-midi Franckie Tumahai s’est retrouvé de nouveau à la barre pour la poursuite de son audition. Et là, sa volonté de tout dévoiler au grand jour s’est évaporée comme neige au soleil.
Interrogé sur deux des opérations les plus grosses qui lui sont reprochées, à savoir une livraison portant sur une quantité estimée entre 900 grammes et 4 kilos en juillet 2018, selon des témoignages, et une autre de deux kilos en août. Il minimise les quantités.
Sur la première, il explique qu’il voulait aider Alfonsi car « on le menaçait là-bas [au Mexique] il avait des dettes » et donc il a accepté de récupérer 800 grammes d’ice, et « pas 4 kilos », en deux livraisons qu’Alfonsi a fait transiter via une mule, un Américain nommé Sardina, et les a refourgués à « Patrona » une des figures du premier volet de l’affaire Sarah Nui. L’argent récolté a été remis à Sardina avant qu’il ne reparte aux USA, puis transmis à Alfonsi. À noter qu’à cette période, Tumahai était sous contrôle judiciaire et que tout en continuant à mener son business, il pointait à la gendarmerie.
Sur la livraison de deux kilos le 5 août, amenés par un certain Paul Johnson qui, selon la déposition de la compagne de Tumahai était « un black qui s’est pris en photo dans l’avion et qui nous l’a posté comme l’avait demandé Alfonsi », là aussi, il nie. S’il reconnaît que ce Paul Johnson a bien été amené chez lui par le surfeur Heimata Caroll, chargé de le réceptionner à l’aéroport, il nie que celui-ci lui ait remis deux kilos d’ice. Il reconnaît avoir donné « un million de Francs à Johnson pour qu’il le donne à Alfonsi, mais c’est de l’argent que je lui devais. » Revenant sur les deux kilos, il soutient que « ce serait idiot de la part d’Alfonsi de m’envoyer deux kilos d’ice car il savait que le 23 août je passais en jugement dans l’affaire Marlier et que j’allais être condamné. »
Un Alfonsi fébrile et peu conforme à l’image qu’il véhicule
Le juge cite alors Alfonsi à la barre pour qu’il apporte des éclaircissements à ce sujet. Il se lève et là on voit qu’il a nettement perdu de sa superbe. Il est loin le gars qui s’affichait « gun » à la main sur sa page FaceBook. Il est plutôt fébrile, jette des regards inquiets dans la salle comme s’il s’attendait à voir une escouade de sicarios (tueurs à gages, ndlr) débarquer de Tijuana pour lui régler son compte.
Attitude voulue pour donner le change ou bien prise de conscience de ce qu’il risque en termes de peine, quoiqu’il en soit, c’est d’une voix douce et policée qu’il s’adresse au juge. « Johnson devait revenir avec trois millions de chez Tumahai, monsieur le juge ». Quant à l’importation des deux kilos, il ne la confirme pas. « Quels sont vos liens avec Tumahai ? » l’interroge le juge. « C’est comme un grand frère, monsieur le juge, je lui ai demandé de m’aider car j’avais besoin d’argent. » Sur sa place dans son réseau, « c’est juste un intermédiaire. »
Le procès se poursuivra demain avec les auditions d’autres prévenus.