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Sémir Al Wardi : « Les hommes politiques affirment être contraints de céder au clientélisme »

colloque UPF

Sémir Al Wardi, maître de conférences en science politique à l’UPF, et Moetai Brotherson, député à l’Assemblée nationale, ont animé deux conférences mardi lors du colloque sur les atteintes à la probité dans les Outre-mer. Le premier a posé la question de la proximité en politique et le second a parlé des dispositifs pour la confiance dans la vie politique polynésienne. Tous deux ont interrogé les liens entre politique, justice et citoyens.

Emmanuelle Gindre et Sarah-Marie Cabon, toutes deux maîtres de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’UPF, organisaient un colloque sur les atteintes à la probité dans les Outre-mer ces lundi et mardi, à l’université de la Polynésie française. Sémir Al Wardi, maître de conférences en science politique à l’UPF, a notamment animé une conférence sur la vie politique en outre-mer et la question des rapports de proximité. « Les hommes politiques affirment être contraints de céder au clientélisme s’ils veulent être réélus et la population ne comprendrait pas s’ils ne le faisaient pas, explique le politologue. Les dirigeants doivent faire redescendre leurs richesses au peuple. Un homme politique qui ne redistribue pas est un homme qui fait le mal. »

Cette vision date de la société ancienne, où les chefs traditionnels devaient redistribuer leurs richesses. Moetai Brotherson est également revenu sur l’histoire polynésienne, précisant que « le Arii n’était pas le chef divin qui avait toute autorité, non, il n’était que le réceptacle du prestige du clan. Sa légitimité s’appuyait sur sa capacité à le redistribuer. » Une idée encore présente dans la société aujourd’hui : « C’est nous qui t’avons élu et placé là où tu es », entend-t-on souvent, raconte le député de l’Assemblée nationale.

Les maires sont bien au fait de ce système. Sémir Al Wardi prend l’exemple des réceptions qu’ils organisent : « Un tavana reçoit habituellement une fois par semaine, à partir de 5h du matin… Ils ne peuvent pas résoudre tous les problèmes mais l’important est de recevoir. La méthode vient de Pouvanaa a Oopa qui avait instauré ces réceptions. » Ce fonctionnement est tellement important que lors de la création des communes en 1971, les représentants de l’assemblée se sont plaints de voir leurs prérogatives s’envoler car les maires arrivaient en concurrence. Aux tavana désormais de redistribuer. Mais pour nuancer ce pouvoir, le président du Pays s’est toujours efforcé de maintenir une dépendance forte des communes au Pays.

Condamnés mais réélus

Sémir Al Wardi et Moetai Brotherson ont étayé leurs propos d’exemples de ces élus réélus alors que condamnés. En prison mais réélu, condamné mais réélu, en tête de liste alors qu’inéligible… Et cette image reprise par l’universitaire avec amusement : l’accolade donnée par Gaston Flosse, alors secrétaire d’État dans un gouvernement métropolitain, à un de ses amis, Guy Sanquer, conseiller territorial et écroué après une inculpation pour « abus de confiance, faux et usage de faux en écritures privées ». « On a vu ainsi, dans la cour de cette prison, le secrétaire d’État et ses collègues, couronner de colliers de fleurs cet ami dans l’affliction, sous le regard ébahi du directeur de l’établissement pénitentiaire », cite Sémir Al Wardi lisant un article du Monde. Comment expliquer cette fidélité de la population ? « Si la condamnation est perçue comme la conséquence d’une redistribution et non comme un enrichissement personnel alors il n’y a pas faute », pour l’universitaire.

Moetai Brotherson pose la question de la relation avec la justice : « On peut poser la question de la confiance des Polynésiens envers leur politique mais aussi envers la justice. Les Polynésiens se méfient de la loi et les racines de cette méfiance sont coloniales. La France est venue avec une autre culture et une autre histoire, les postes de juge ont été occupés par les Français. La loi a cessé d’être rendu par les Polynésiens au nom des Polynésiens. » Il voit aussi chez l’élu condamné qui réussit à se faire élire un « pied-de-nez » à la loi : « Tant que le couperet de l’inéligibilité n’est pas tombé, la réélection apparaît aux yeux de la population comme une preuve de résilience voire d’intelligence. Untel sera toujours gagnant car il est plus malin que les autres. »

« La proximité fēti’i influence considérablement les rapports sociaux »

Autre spécificité en Polynésie française : les liens familiaux. Sémir Al Wardi fait alors la généalogie de certains élus et les liens qui les unissent et après une longue liste semblant relier tout le monde à tout le monde, il conclut en souriant : « On commence à avoir le vertige ! Et je ne parle que des personnes connues, or quand on parle de fēti’i, il y a tous les autres ! » Comment aller à l’encontre des intérêts de sa propre famille ? Mais si la famille est un espace de solidarité, elle peut devenir aussi un lieu d’affrontement. Sémir Al Wardi prend l’exemple d’Édouard Fritch et Gaston Flosse. Le premier a longtemps été le gendre du second et son héritier désigné. « Je peux vous dire qu’aujourd’hui, ils sont ennemis jurés et ce n’est pas du tout simple avec les enfants et les petits-enfants. »

Sémir Al Wardi terminera sur cette question : « Est-ce vraiment Polynésien ? » De nombreux élus métropolitains continuent également à bénéficier des suffrages de leurs concitoyens malgré leur condamnation ; aux États-Unis, les électeurs évaluent les candidats aux élections en fonction de leurs attentes propres et pas de leur possible problème judiciaire. « Les relations et les pratiques clientélismes ne sont pas l’apanage des sociétés particulières. Le clientélisme est présent dans n’importe quelle société ou régime. Mais il est nécessaire d’accroître la transparence pour rétablir la confiance des électeurs et mettre un frein à l’abstention et à la montée des partis populistes. Même si la proximité fēti’i influence considérablement les rapports sociaux. »

Moetai Brotherson a rappelé qu’il avait fait une proposition de loi afin de permettre « l’inéligibilité à vie » mais la majorité de l’Assemblée nationale avait botté en touche et renvoyée le texte en commission. Comme quoi le débat sur la probité anime aussi la vie politique et sociale de la métropole.

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