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Sept ans de prison pour le tireur du Liberty

Cinq hommes comparaissaient ce jeudi, dans l’affaire du Liberty, qui avait grand bruit quand deux coups de feu avaient été tirés au centre-ville de Papeete, un soir de janvier 2022. Si tous ont été condamnés, seuls les deux principaux protagonistes dorment cette nuit derrière les barreaux. L’instigateur de l’expédition punitive a écopé de six ans de prison ferme, tandis que le tireur, déjà en détention, en a pris sept. Le procès a surtout permis de démêler une affaire invraisemblable où se croisent double escroquerie, trafic d’ice, rencontres fortuites et expédition punitive improvisée.

Générique de fin pour l’affaire du cinéma Liberty. Ce mardi au tribunal de première instance, quatre hommes, parmi lesquels deux frères et leur cousin, défilent tour à tour à la barre, pour raconter leurs versions des faits. Enoha T. s’exprime lui directement depuis le box : il est en détention provisoire depuis fin janvier 2022, pour avoir tiré les coups de feu qui avaient fait grand bruit dans l’impasse attenante aux salles de projection.

Cet homme de 34 ans a toute l’allure du premier antagoniste : physique impressionnant, tatouages en tous genres jusqu’au cou, et réputation de caïd, aussi bien en ville que derrière les barreaux. Un personnage complexe, au passé douloureux, passé pas loin de la mort lors d’une rixe qui avait couté la vie de son frère en 2014. Coutumier de la montée des marches du tribunal, son nom figurait déjà en haut de l’affiche mi-juin, dans l’affaire des colis de Nuutania : il en attend le second épisode, après avoir fait appel de sa condamnation à trois ans de prison. Et pourtant, c’est dans un rôle plus concis que le retrouve le tribunal ce mardi : une apparition très remarquée, certes, mais brève. Car l’affaire du Liberty ne se résume pas à ces seuls coups de fusil.

Tout débute quelques jours plus tôt. Heremoana A. employé polyvalent au cinéma et consommateur occasionnel d’ice se sent l’envie d’un petit trip. À la recherche d’un dealer, il contacte alors un ami, Temaia B. dont il reste sans nouvelle pendant une semaine. Autant de temps qu’il faut à ce dernier, ancien boxeur prometteur, pour flairer l’argent facile et monter une petite combine. Revenu vers Heremoana avec la promesse d’un contact à La Mission, Temaia lui propose un achat groupé : chacun d’entre eux pose 200 000 francs sur la table. Deux autres clients apportent 400 000 chacun, et la promesse d’un joli petit paquet de cristaux semble proche de se réaliser… sauf que Temaia n’a jamais eu l’intention de faire l’usage prévu de cet argent. Son but, c’est surtout de s’en mettre plein les poches aux dépens d’amis un peu trop naïfs.

L’arroseur arrosé

Cette arnaque, il l’a pensée quelques jours plus tôt avec ce dit contact de La Mission, un dénommé Ben*. Les deux hommes viennent alors de se rencontrer lors d’un covoiturage improvisé entre Paea et Papeete. Un court trajet, mais suffisamment long pour faire connaissance et monter le coup. « Il avait besoin d’argent et il m’a proposé de chercher des gens qui voudraient acheter de l’ice », raconte Temaia à la barre. L’argent collecté, avec la participation de son cousin Johnny R.,  à qui il a promis un tiers de la somme, Temaia s’empresse donc de le mettre au chaud, et le confie au fameux Ben, qui doit lui-même le remettre à « un collègue ». Entre les deux escrocs, l’accord est pour le moins surprenant, puisque seuls 30 000 des 1,2 million de francs doivent revenir à Ben, pour la course. Qu’importe si c’est trop beau, Temaia y croit et laisse les liasses entre les mains de celui qu’il ne connaît que depuis quelques jours.

Un peu plus tard, Heremoana commence à trouver le temps long et reprend contact avec son ami. Lors de la rencontre, Temaia « n’était pas bien », raconte-t-il. Et pour cause, il n’a plus de nouvelles de Ben et comprend qu’il vient de passer d’arroseur à arrosé. « On s’est fait arnaquer », glisse-t-il alors à Heremoana. Ce dernier, furieux d’y avoir laissé toutes ses économies, mais à des années-lumière de comprendre la malhonnêteté initiale de son ami, se décide à jouer les détectives. Par le biais d’un autre contact à La Mission, il parvient à glaner quelques infos. « Mon contact m’a dit, soit Temaia t’a arnaqué, soit c’est un autre ». Quelques minutes plus tard, nouvel appel, le contact est formel : « c’est Ben ». Il faut dire que ce dernier n’a pas trainé pour se faire remarquer, en flambant l’argent dérobé avec des prostituées, de l’ice et de l’alcool. Problème, personne ne sait réellement où il se trouve, et c’est alors le début d’intenses recherches. Pendant deux jours, Temaia – impeccable dans le rôle de celui-qui-ne-sait rien – arpente la zone urbaine avec plusieurs individus, dont son cousin Johnny, mais aussi les clients initiaux, persuadés de n’avoir été floués que par Ben.

Le hasard fait parfois mal les choses

Le 25 janvier, alors que les recherches s’essoufflent, Heremoana prend son service au Liberty. Et quelle n’est pas sa surprise quand il voit Ben discuter dans la rue avec deux amis. Les deux hommes se connaissent, mais Ben ne sait pas que l’employé du cinéma fait partie des pigeons de l’histoire. La conversation s’installe, Heremoana tente d’en savoir plus mais sans succès. Hasard de l’histoire, Ben et ses amis décident d’aller dîner en ville, et sollicitent le concours du vigile pour garder un scooter. Ce dernier s’empresse alors de prévenir Temaia, alors à Paea.

Sur la côte Ouest, les coups de fil s’enchaînent. L’ancien boxeur mobilise son cousin Johnny. Le rendez-vous est donné à Punnauia. Peu enclin à utiliser son véhicule « car Ben le connait », Temaia sollicite son ami Stanley, qui vient accompagné d’un ami, le fameux Enoha T. Et il n’est pas venu les mains vides : sur le parking il fait la démonstration d’usage d’un fusil à pompe, qu’il présente avec deux munitions, l’une de type chevrotine, l’autre de plus gros calibre. Ni Temaia, ni son cousin ne le connaissent, mais ils ont beaucoup entendu parler de lui. Il vient « pour les aider à récupérer leur argent » dit-il. L’arme ? « C’est pour faire peur ». Sans trop se poser de questions, la bande file vers la capitale, et récupère au passage le frère aîné de Temaia, Rudy B., qui n’avait jusque là pas grand chose à voir dans ce mic-mac.

Guet-apens

Une fois sur place, l’idée d’un guet-apens se met à germer, alors que Ben et ses amis sont toujours en train de dîner, sans imaginer ce qui se trame à quelques rues de là. Dans l’impasse, Temaia demande à Heremoana de pousser le scooter le plus loin possible. S’ensuit une attente de cinquante minutes, durant lesquelles Enoha manipule l’arme aux yeux de tous, avant de la reposer sur le siège passager du véhicule. Ben et ses amis finissent par arriver, en voiture. Le propriétaire du scooter descend en premier et s’empresse de récupérer son deux-roues. Temaia se lance à sa poursuite, suivi de Johnny, puis se place devant la voiture où se trouve toujours Ben, qui est alors dans l’impossibilité de sortir de l’impasse. Enoha, ouvre alors le feu à deux reprises, avec l’idée de crever les pneus : une première fois à une dizaine de mètres du véhicule, la volée de plomb atteignant l’aile gauche. Une seconde avec du gros calibre, cette fois dans le pare-chocs arrière.

Le propriétaire du scooter ayant détalé comme un lapin (on ne le retrouvera que quelques heures plus tard, barricadé chez un particulier et traumatisé), Ben et son chauffeur s’enfuient à deux. Temaia et sa bande tentent alors une course poursuite, mais celle-ci est de courte durée, à peine une centaine de mètres. Après un arrêt du côté de Tipaerui, les six hommes rentrent bredouilles. Ils finiront par se rendre quelques jours plus tard, non sans avoir essayé d’accorder leurs versions, mais sans grand succès. Heremoana n’aura finalement connaissance du rôle précis de Temaia qu’après quatre auditions.

Six ans ferme pour le meneur du groupe

Chacun des mis en cause, à l’exception de Enoha T. resté derrière les barreaux, a passé près de quinze mois en détention provisoire. Le procès de ce mardi avait pour but de déterminer la chaîne des responsabilités dans cette affaire. Avec deux absents de marque : le premier, Stanley, chauffeur du groupe, est décédé en septembre dernier : son corps a été retrouvé à Mataeia, victime d’un violent règlement de comptes, là encore sur fond de trafic d’ice. Le second, c’est le fameux Ben. Hormis sa plainte déposée le soir des faits, personne n’a plus jamais entendu parler de lui au cours de l’instruction. Il n’avait d’ailleurs pas pris d’avocat, les seules parties civiles représentées étant le jeune propriétaire du scooter, le chauffeur de Ben et la mère de ce dernier, propriétaire du véhicule ciblé par les coups de feu. Les cinq hommes présents, qui avaient évité les chefs de tentative de meurtre et d’association de malfaiteurs, comparaissaient pour transport d’armes et tentatives d’extorsion, ou pour complicité en ce qui concerne les protagonistes les moins impliqués. Enoha T., déjà incarcéré, et qui est le seul dans la bande à ne pas se dire marqué psychologiquement par cette affaire, a écopé de sept ans de prison ferme.

Après avoir eu bon nombre de déboires à Nuutania, où son dossier disciplinaire fait plus de sept pages, il pourrait donc découvrir Tatutu. De son côté Temaia B. a été condamné à six ans de prison : sa quatrième condamnation après un usage de fausses plaques et des faits de violences conjugales. Pointé pour son rôle de fil conducteur tout au long de l’affaire, Heremoana a récolté quatre ans, dont deux avec sursis. Il est ressorti libre du tribunal, tout comme Johnny R. et le grand frère de Temaia, Rudy B., qui ont écopé de peines allant de deux à trois ans, dont un avec sursis. Tous trois ayant déjà purgé une bonne partie en détention provisoire, ils devraient pouvoir rester dehors, selon les décisions du juge d’application des peines.

*le prénom a été changé

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