Les Burkinabè ont renversé Blaise Compaoré, les Burundais contestent Pierre Nkurunziza. D’autres pays du continent pourraient bien connaître la même période agitée dans les mois à venir.
Burkina-Faso, Burundi, deux pays africains dont les chefs d’Etat cramponnés au pouvoir ont été renversés (pour Blaise Compaoré) ou sont violemment contestés (pour Pierre Nkurunziza). A chaque fois, le péché originel est le même : un président vieillissant, gouvernant sans partage un peuple lassé par les abus de pouvoir, tente un « coup d’Etat constitutionnel ». Blaise Compaoré, 27 ans de règne, et Pierre Nkurunziza, 9 ans aux manettes, ont tout deux mis le feu aux poudres dans leurs pays en tentant une « réforme » de la Constitution leur permettant de se représenter pour un troisième mandat. La manœuvre politique de trop, puisque les Burkinabè comme les Burundais ont envahi les rues, clamant leur colère. S’il est bien trop tôt pour parler de « printemps africain », ce scénario pourrait bien se répéter dans les prochains mois. Et pour cause, d’ici 2016, le continent africain connaîtra encore 19 élections présidentielles, dont certaines où des « présidents-dictateurs » remettront leur siège en jeu.
>> Quels sont les pays où la situation pourrait se tendre ? Europe1.fr expose trois exemples de pays où les vieux loups de mer de la politique africaine louvoient pour garder le pouvoir.
• Au Congo-Brazzaville : Denis Sassou Nguesso,17 ans au pouvoir
Il a atteint l’âge de la retraite présidentielle. Si l’on se fie à la Constitution du pays, Denis Sassou Nguesso, 71 ans, ne pourra pas se présenter lors de l’élection présidentielle de 2015. Et pour cause, les articles 57 et 58 limitent à deux mandats la durée d’une présidence et à 70 ans l’âge maximum pour se présenter.
Après 17 ans au pouvoir, Denis Sassou Nguesso fait de la résistance, bien épaulé par son fils, Denis-Christel. La famille est ambitieuse : pour conserver les rênes du pays, elle compte tout simplement organiser un référendum populaire proposant de réécrire une nouvelle Constitution. Inutile de dire que ce nouveau texte risque fort d’effacer des tablettes les articles 57 et 58 qui envoyaient sans autre forme de procès le papy du Congo-Brazzaville à la retraite.
Il faut dire que le pouvoir a du bon, pour la famille Sassou Nguesso. Elle est en effet citée dans l’affaire des biens mal acquis. C’est dans ce cadre que les juges français ont saisi une quinzaine de voitures de luxe dans la résidence des Sassou Nguesso à Neuilly. Une page de l’Obs répertorie toutes les affaires dans lesquelles le « clan Sassou » est cité, où les appartements de luxe et les comptes au Luxembourg côtoient les Aston Martin dernier cri.
• En République Démocratique du Congo: Joseph Kabila, 14 ans au pouvoir
« Avec sa voix timide et sa jeunesse (il n’avait alors que 29 ans), il donnait l’impression, au début, d’être un personnage falot », écrivait à propos de Joseph Kabila l’historien belge David Van Reybrouck dans son livre-fleuve Congo. Depuis, le fils de Laurent-Désiré, qu’on accusait de jouer aux jeux vidéos pendant que son peuple souffrait, a bien grandi. Et pris, au fil des 14 années passées à la tête de la RDC, la confiance qui semblait tant lui manquer.
Bien qu’il soit fils de président, Joseph Kabila a longtemps manqué de légitimité pour gouverner ce pays aussi riche en ressources naturelles qu’ensanglanté par des décennies de conflits. Elevé sous un nom d’emprunt en Tanzanie, lorsqu’il arrive au pouvoir en 2001, Joseph Kabila ne parle qu’anglais et swahili, mais baragouine à peine le Français, la langue officielle de la RDC et ne parle pas un mot de lingala, la langue parlée à Kinshasa. A son actif, sous son mandat, la seconde guerre du Congo prend fin. Mais ses lacunes linguistiques et sa jeunesse passée loin du pays le font toujours passer pour un étranger.
Un étranger pourtant bien installé, qui ne compte pas lâcher le pouvoir de sitôt. Président par intérim suite à l’assassinat de son père en 2001, il a survécu à un coup d’Etat fomenté par les partisans de Mobutu, le prédécesseur et ennemi de son père, Laurent-Désiré. Il remporte les deux élections suivantes de 2006 et 2011, même si ce dernier scrutin n’est pas reconnu par ses opposants et que les observateurs pointent du doigt des irrégularités massives. Autant dire que Joseph Kabila n’est pas à un arrangement près avec la démocratie, mais aussi avec la Constitution, qui limite formellement le chef de l’Etat à deux mandats. Jean-Claude Katende, président de l’Association africaine des droits de l’homme interviewé par Jeune Afrique, affirme que « des manœuvres se concoctent depuis quelques temps ». Un pressentiment confirmé en juin 2014, lorsque le conseil des ministres adopte un projet de révision constitutionnelle « pour faciliter l’organisation des élections ». L’opposition dénonce un coup d’Etat constitutionnel et manifeste dans les rues de Kinshasa.
• Au Rwanda : Paul Kagame, 21 ans au pouvoir (dont 6 en tant que vice-président)
Il est l’homme qui a pris les rênes du pays après le génocide de 1994 en tant que vice-président. L’homme qui a permis au Rwanda de relever la tête. Sous son « règne », la mortalité infantile a chuté de 70% et l’économie a cru de 8% chaque année. Mais à quel prix. S’il a reçu des prix honorifiques et s’est attiré les louanges de Bill Clinton quand ce dernier était à la Maison Blanche -« Paul Kagame a libéré le cœur et l’ esprit de son peuple » – il s’est aussi forgé une solide réputation de leader omnipotent et sans pitié. C’est comme si un œil invisible observait chacun d’entre nous à chaque instant », témoigne Alice Muhirwa, opposante politique, dans les colonnes du New York Times.
Difficile donc de brosser un portrait tranché de Paul Kagame, tant une partie de la classe politique et de leurs sympathisants voient en lui l’homme providentiel. « Lorsque le président Kagame arrive il y a des gens qui lui demandent de se porter de nouveau candidat. Notre parti politique met devant la démocratie, c’est pourquoi nous donnons la parole à la population. Si la population accepte de changer la Constitution, alors nous aussi, nous sommes d’accord », expliquait par exemple Christine Mukabunani, la présidente du PS-Imberukari à RFI. Problème, ces partis qui s’expriment en faveur de ce référendum, présentés comme des partis d’opposition, sont accusés de se faire les porte-parole officieux du Front Patriotique Rwandais de Paul Kagame, comme l’explique Slate Afrique.
Des témoignages de sympathie qui tombent à pic pour Paul Kagamé, lui aussi gêné par la limite constitutionnelle des deux mandats. C’est pourquoi il compte soumettre la réforme constitutionnelle au peuple via un référendum.