Alep (Syrie) (AFP) – Des milliers de civils et de rebelles ont été évacués jeudi d’Alep, un mois après une offensive dévastatrice du régime qui s’apprête à proclamer sa plus importante victoire dans la guerre avec la reprise totale de la deuxième ville de Syrie.
Le président Bachar al-Assad, qui a bénéficié du soutien crucial de la Russie et de l’Iran dans la guerre, a affirmé que les Syriens « écrivaient l’Histoire » avec la « libération » en cours de la ville.
Mais cette victoire a un coût humain exorbitant, après le déluge de feu des troupes du régime qui ont déversé sans arrêt leurs missiles, barils explosifs et obus sur les quartiers encore tenus par les rebelles dans la cité septentrionale lors de leur dernière offensive lancée le 15 novembre.
Des centaines de civils tués, plus de 100.000 autres affamés et assiégés pendant quatre mois poussés à la fuite, sans compter les immenses destructions qui suscitent des comparaisons avec Berlin en 1945 ou Grozny en Tchétchénie. La communauté internationale s’est bornée à condamner mais est restée impuissante.
D’ailleurs 25 ONG internationales ont déploré la « faillite morale de la communauté internationale » au moment où « l’humanité rend son dernier souffle » à Alep.
Aux termes d’un accord d’évacuation des dernières poches rebelles, où les armes se sont tues à l’aube, trois convois de bus et d’ambulances ont fait sortir en grande majorité des civils dont des blessés, et des combattants.
Le trajet est le même: du quartier Al-Amiriyah encore tenu en partie par les insurgés vers celui de Ramoussa aux mains du régime, avant de parvenir en territoire rebelle dans l’ouest de la province d’Alep.
Les personnes évacuées se sont agglutinées dans les bus, s’asseyant sur les sièges ou à même le plancher, a constaté un journaliste de l’AFP. Certaines, âgées, pleuraient mais d’autres étaient soulagées de sortir de l’enfer.
Certains habitants hésitaient à monter à bord des bus, craignant que le régime ne se livre à des fouilles.
– « Nous reviendrons un jour »! –
Quand les bus ont traversé Ramoussa, des femmes ont lancé des « youyous » des balcons.
Sur les vitres de certains bus couvertes de poussière, des évacués ont inscrit « nous reviendrons un jour ».
Des volutes de fumée blanche s’élevaient des quartiers rebelles. Les derniers habitants brûlaient des effets qu’ils ne veulent pas laisser au régime et les insurgés leurs documents.
Les trois convois formés de nombreux bus et ambulances étaient ouverts par des véhicules du Comité international de la Croix-rouge (CICR) et du Croissant rouge syrien.
Selon des correspondants de l’AFP et l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH), il y avait un petit nombre de combattants à bord des bus et une majorité de civils.
Le CICR n’a parlé que de civils évacués dans ces convois. Selon sa représentante en Syrie, Marianne Gasser, environ 3.000 civils et plus de 40 blessés dont des enfants ont pu être évacués dans les deux premiers.
Pour que les ambulances et les bus puissent arriver jusqu’aux habitants, une grue a dû déplacer les décombres des rues ravagées, a-t-elle dit. « Ce que nous avons vu fendait le coeur. Les gens faisaient face à un choix impossible. On pouvait voir leurs yeux remplis de tristesse ».
– Evacuations de plusieurs jours –
« Personne ne sait combien de gens sont encore dans les quartiers rebelles » en passe de tomber aux mains du régime, a poursuivi Mme Gasser en soulignant que l’évacuation « pourrait prendre des jours ».
Néanmoins, l’émissaire de l’ONU pour la Syrie Staffan de Mistura a estimé à environ 40.000 le nombre de civils encore piégés dans le réduit rebelle et à entre 1.500 et 5.000 celui des combattants et leurs familles.
La Turquie, qui a promis d’accueillir des déplacés, a elle chiffré entre 80.000 et 100.000 le nombre de civils qui pourraient être évacués.
Dans le cadre de l’accord d’Alep, des blessés et malades des villages chiites de Foua et Kafraya sous contrôle du régime mais assiégés par les rebelles dans la province d’Idleb (nord-ouest), pourront aussi être évacués vers des zones prorégime.
Alors que les multiples veto russes ont bloqué toute action du Conseil de sécurité de l’ONU sur Alep, une nouvelle réunion est prévue vendredi à la demande de la France pour tenter d’obtenir le déploiement d’observateurs internationaux pour les évacuations.
Le secrétaire d’Etat américain John Kerry a averti qu’Alep risquait de devenir un « autre Srebrenica », du nom de cette ville de Bosnie où fut commis en 1995 le pire massacre en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale.
– « Idleb, prochaine Alep ? » –
Les personnes sorties d’Alep peuvent au final se rendre dans la province voisine d’Idleb, dernière place forte de la rébellion qui voit fondre les zones sous son contrôle.
Mais M. de Mistura, qui appelle de ses vœux à une reprise des négociations intersyriennes pour trouver une issue au conflit, a averti qu’Idleb risquait de devenir « la prochaine Alep » « s’il n’y a pas d’accord politique et de cessez-le-feu ».
La perte d’Alep représente un revers cuisant pour la rébellion, qui en avait conquis la partie orientale en 2012. Pour le régime, aidé de combattants iraniens, irakiens et du Hezbollah libanais, cette victoire est son plus important succès depuis le début de la guerre en 2011.
L’intervention militaire de la Russie en septembre 2015 a permis aux troupes du régime, alors en déroute, d’inverser la situation.
Le conflit très complexe en Syrie, impliquant différents belligérants et leurs soutiens régionaux ou internationaux, a fait plus de 310.000 morts depuis mars 2011.
© AFP Baraa Al-Halabi
Deux enfants évacués en bus d’un quartier rebelle d’Alep, font le « V » de la victoire, à Alep le 15 décembre 2016