Le Pays s’apprête, avec l’accord de l’État, à créer un nouveau service, rattaché à la présidence : la « Délégation pour la promotion de la jeunesse et pour la prévention de la délinquance en Polynésie française ». Pressenti à sa tête, Teiva Manutahi, éducateur spécialisé à la Direction de la famille, des solidarités et de l’égalité (DFSE), une personnalité qui ne fait pas l’unanimité. La délégation pourrait comprendre jusqu’à 21 personnes, certaines recrutées au sein même de la DFSE où une nouvelle grève menace pour protester contre le manque de moyens humains et financiers.
Le 11 avril 2019, dans son discours d’ouverture de la session administrative de l’assemblée de la Polynésie française, le président Fritch exprimait sa volonté de créer un service administratif dédié à la jeunesse et à la lutte contre la délinquance. En mai dernier, une mission était validée par les principaux ministères concernés, pour « établir une cartographie sur l’ensemble du territoire de la Polynésie française des services et établissements en faveur de la jeunesse et de la prévention de la délinquance », dans le public comme dans le privé. Mission confiée en juin à deux agents de la DFSE, Teiva Manutahi et le psychologue-clinicien Albert Hughes.
Le 19 novembre dernier, lors de la réunion du Comité local de sécurité et de prévention de la délinquance, Édouard Fritch annonçait « la création très prochaine d’une Délégation à la promotion de la jeunesse et à la prévention de la délinquance. Ce sera un nouveau service rattaché à la présidence. Il aura une envergure interministérielle. Il sera dirigé par monsieur Teiva Manutahi, éducateur spécialisé, à qui j’ai confié une mission d’études et de préparation de cette nouvelle entité, depuis près d’un an. Il aura à cœur de traiter le millier de signalements afin d’éviter que les personnes mises en cause, en général des jeunes, tombent dans le délit, faute de prise en charge sérieuse par des professionnels dédiés à ce type d’intervention sociale. Nous sommes en train de finaliser le statut de cette nouvelle entité. » Une entité dont on nous assure qu’elle serait composée de 7 personnes, mais qui est appelée à grandir.
Teiva Manutahi a donc produit un volumineux rapport que Radio1 s’est procuré, qui dresse l’état des lieux de la délinquance des jeunes en Polynésie, de sa prise en charge, et dessine les contours du futur service dont il prendra la tête. Le constat proprement dit sur la délinquance juvénile n’est pas réellement contestable. Les services de l’État, du Pays, et les associations sont surchargés, les parents démunis, « il manque un maillon dans la chaîne des services et des entités associatives pour permettre un pont entre ces différentes sphères », dit le rapport.
Ce maillon manquant est supposé être un « Service d’investigations éducatives (SIE) », pièce centrale de la future délégation, pour assurer les futures « mesures judiciaires d’investigations éducatives (MIJE) » ordonnées par la justice, (des enquêtes ciblées destinées à une meilleure information des magistrats, ndlr) qui pourraient concerner de 200 à 300 individus par an. Sa mise en place nécessitera des rencontres à Paris avec les services du ministère de la Justice, et la signature de conventions notamment financières entre l’État et le Pays.
La DFSE pas adaptée à ces missions ?
Teiva Manutahi défend le choix de créer ce nouveau service au sein de la présidence plutôt qu’au sein d’une structure déjà existante comme la DFSE. « C’est surtout parce que ce ne sont pas les mêmes missions. Les services de la DFSE, j’en viens, c’est ma maison depuis 17 ans, s’occupent principalement de la protection de l’enfance en danger et de l’accompagnement des familles en difficulté, en voie de précarité. Là, on est sur une thématique particulière, on est dans la délinquance. Et on ne s’en est pas occupé ces dernières années tout simplement parce que c’est de la compétence de l’État. Sauf que pour les primo-délinquants, l’État ne peut pas intervenir au civil, il n’intervient qu’au pénal.»
Un argumentaire qui ne convainc pas les agents de la DFSE, qui viennent de déposer un nouveau préavis de grève pour protester contre le manque de moyens : «La prévention, ça devrait être le job de la DFSE, on devrait le faire, et on est formé pour le faire, mais on n’en a pas les moyens ! » s’exclame l’un d’entre eux. Ils émettent également des doutes sur les compétences réelles de Teiva Manutahi, même s’ils lui reconnaissent des qualités oratoires. Et ils craignent de voir finalement affluer chez eux, au bout de quelques mois, les cas qui auront été identifiés par ce nouveau service. Pas du tout, leur répond Teiva Manutahi.
« Forces d’intervention de proximité » et « observatoire »
Le rapport prévoit également un service de proximité, sous-section de la Délégation, qui mettrait en oeuvre « une forme d’engagement polynésien citoyen » d’une durée de 6 mois pour aider les jeunes en danger à « revisiter certains principes des codes relationnels humains » , et les préparer à s’insérer dans les lieux de formation et dans le monde professionnel. « Cette section s’appellera Forces d’interventions de proximité pour l’insertion et la prévention (FIP) », selon le rapport. Des agents qui passeront « plus de temps sur le terrain que derrière un bureau, assure Teiva Manutahi, pour recréer du lien ».
Enfin, la délégation se chargera de mettre en place un « Observatoire de la jeunesse et de la famille en Polynésie française ». La mission, dit Teiva Manutahi, s’est aperçue que le Pays dispose de très peu d’écrits, de recherches sur les causes et les spécificités de la délinquance en Polynésie, à rapprocher des recherches qui peuvent se faire dans le reste du Pacifique.
« Si ça avait été politique, ça n’aurait pas pris un an »
La recherche préliminaire à ce rapport a pris la forme, il y a quelques mois, d’une tournée extensive de Teiva Manutahi dans les îles, vue par certains comme une tournée politique. Il balaie les critiques : « Si ça avait été politique, ça n’aurait pas pris un an, dit-il. Généralement, quand on veut promouvoir un poste politique, on passe en conseil des ministres sans prévenir qui que ce soit, on nomme la personne et ensuite on réagit aux interventions de la presse… Nous, on n’a rien caché, ça fait un an qu’on est sur la création de ce service. Il n’y a pas d’embauche politique, ce sont des agents de l’administration qui voudront bien relever ce défi, qui sont déjà fonctionnaires mais qui veulent avoir une approche différente. » Il affirme que de nombreux agents, de la DFSE et d’ailleurs (Direction de la santé, Sefi, Fare Tama Hau, Jeunesse et Sports, Arass…), se sont portés volontaires pour rejoindre la future délégation.
Le conseil des ministres doit normalement prendre l’arrêté portant création de cette nouvelle délégation mercredi 12 février. Dans un premier temps, elle devrait être constituée de 7 agents, dit Teiva Manutahi. « Il a été convenu que 7 agents soient détachés pour former le pôle administratif, » dont seulement 3 issus de la DFSE, mais elle devra s’étoffer dans les 10 mois suivants pour atteindre 21 postes.
Quant au budget, Teiva Manutahi ne veut pas trop s’avancer. Un premier document qui avait circulé faisait état, à terme, d’un budget de 198 millions de Fcfp. Une « maladresse » selon Teiva Manutahi, puisqu’en termes de masse salariale une grande partie de ces personnels font déjà partie de la fonction publique. Le budget de fonctionnement de la première année d’activité de cette délégation devrait être de l’ordre de 30 millions de Fcfp, assure-t-il. Toujours est-il qu’après avoir été bénéficiaire, de 2013 à 2015, d’un poste de « médiateur de la Polynésie française » taillé sur mesure par Gaston Flosse, Teiva Manutahi est sur le point de se retrouver à nouveau dans le giron de la présidence.
Teiva Manutahi, entre social et politique
À bientôt 43 ans, cet éducateur spécialisé de la Direction de la famille, des solidarités et de l’égalité (DFSE) a déjà derrière lui une longue carrière politique. Il y a peu de rendez-vous électoraux auxquels il n’ait été présent ces dernières années. Il est depuis 2004 à la tête de Porinetia Ora, parti créé par Reynald Temarii qui lui en laisse rapidement la présidence pour prendre celle de la Confédération du football d’Océanie. En 2008, il est candidat aux municipales à Paea où il remporte 262 voix. En 2012 il soutient Nicolas Dupont-Aignan à l’élection présidentielle. Il intègre même le bureau national de « Debout la République. » Il se présente aux élections législatives dans la 2e circonscription. En 2013, il présente une liste « Polynésie ensemble » aux élections territoriales, avec Gustave Taputu du Here Ai’a et Angelo Frébault. Il est ensuite nommé premier (et dernier) « médiateur » de la Polynésie française par Gaston Flosse en 2013, en remerciement de son ralliement à l’entre-deux-tours. En 2014, il est candidat aux municipales à Faa’a, où il remporte 802 voix au premier tour (6,83% des suffrages) et un siège au conseil municipal. La même année il est candidat aux sénatoriales, mais omet de transmettre ses comptes de campagne et écope pour cela, en 2015, de trois ans d’inéligibilité. En 2018, pour les territoriales, il tente de se rapprocher de l’embryon de « La République en Marche » qui ne parvient pas à se former au fenua. Il est ensuite pressenti pour être 11e de liste sur la liste Tapura de la troisième section des Îles du Vent, mais le Tapura recule car la date de fin exacte de son inéligibilité pose problème. En 2020, il est candidat aux élections municipales de mars sur la liste Tapura conduite par Jean-Christophe Bouissou. |