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Thonier chinois : « La Polynésie n’a pas vocation à jouer les éboueurs »

palangrier chinois Anuanuranga

Le Ping Tai Rong 49 échoué aux Tuamotu fin juillet. ©Haut-commissariat


La société chinoise Ping Tai Rong, propriétaire du thonier échoué aux Tuamotu le 23 juillet, contestait ce lundi la saisie d’un autre de ses navires par le Pays. La Polynésie a affiché son manque de confiance en l’armateur : pour s’assurer qu’il prendra bien en charge le démantèlement, elle demande une garantie de paiement de 320 millions de francs.

L’incompréhension. C’est la carte qu’a joué, par la voix de son avocate, Me Anne-Laurence Michel, le groupe chinois Ping Tai Rong Ocean Fishery face aux procédures lancées par le Pays. La société, dont le siège est situé près de Shanghai, gère une large flotte de navires de pêche – plusieurs dizaines d’immatriculations enregistrées dans la zone Pacifique occidentale et centrale – dont le Ping Tai Rong 49, qui s’est échoué le 23 juillet dernier sur l’atoll d’Anuanurunga. Un naufrage de plus pour les Tuamotu et une première pour le Pays qui a obtenu devant le tribunal de commerce, une saisie d’un autre navire du groupe, le Ping Tai Rong 316. Présent la semaine dernière dans le Port de Papeete où il venait chercher des membres d’équipage du thonier échoué, ce second thonier est donc immobilisé à titre « conservatoire ». La Polynésie a pour cela invoqué une « créance maritime », d’abord évalué à 270 millions de francs, censés couvrir le démantèlement de l’épave d’Anuanurunga. Le bateau saisi fait office de garantie : si l’armateur, comme d’autres avant lui, décidait de ne pas prendre ses responsabilités, il ne pourrait le récupérer.

« Discrimination raciale »

Mais de cette procédure non-contradictoire – c’est souvent le cas en matière de saisie pour éviter toute « disparition » des biens visés – l’armateur conteste tout, ou presque. « Il n’y a rien, strictement rien dans ce dossier », répète Me Michel, spécialiste reconnue du droit maritime. Elle reproche au Pays de ne pas produire de document établissant une créance, ou même une sollicitation de paiement auprès de l’armateur. Et attaque même, sans contester cette réalité, l’absence de preuve, au moment de la saisie, que le Ping Tai Rong 316 appartient au Ping Tai Rong Ocean Fishery Group. Surtout, l’avocate assure que l’armateur « n’a pas abandonné son navire » et a au contraire lancé dès la fin août, des travaux de dépollution, étape nécessaire et exigée par l’État avant toute évacuation du bateau. « Un contrat a été signé avec la société Palacz, qui est sur place jusqu’au 28 octobre » précise Me Michel, et un contrat serait en négociation avec une société fidjienne pour la « suite » des opérations. Bref, à l’entendre, son client a une attitude exemplaire, qui a laissé les services de l’État en « admiration » – le représentant de l’action de l’état en mer ne peut retenir un hochement de tête réprobateur – est serait victime du passif d’autres armateurs. La méfiance affichée par le Pays serait, elle, le symptôme d’une forme de « discrimination raciale », tournée vers la Chine. « Tout le monde regrette ce genre d’évènements en mer, personne n’en est jamais fier, reprend-elle. Mais je comprends pas la logique. La Polynésie veut-elle bloquer l’armateur ou l’aider » à déséchouer le navire ?

« On nous a déjà fait le coup »

Pas de quoi émouvoir le représentant du Pays, Me Yves Piriou, qui pointe d’emblée une « erreur d’aiguillage » dans le recours de la société. Plutôt que le tribunal civil réuni, ce lundi, ce serait devant le tribunal de commerce, qui a autorisé la saisie, qu’il conviendrait de débattre de l’affaire. Mais, ici ou ailleurs, les débats se tiendront, alors le Pays expose ses arguments. Qui débutent par la liste de la longue série de naufrages et de millions dépensés par les autorités pour assurer les dépollutions et démantèlement de navires étrangers, dont les propriétaires ont « disparus ». Le Pays peut donc avoir « des craintes importantes et fondées », explique l’ancien bâtonnier. Et même si l’instruction est encore en cours sur le volet pénal de ce naufrage, Me Piriou accuse le laxisme de la société chinoise – le Ping Tai Rong 49 naviguait « à l’aveugle » après une panne de radar, dit-il  – et n’hésite pas à généraliser. « Ce sont toujours les mêmes qui viennent s’échouer » et « la Polynésie en a assez ». « La Polynésie française n’entend pas devenir l’éboueur de tous les bateaux-poubelles », résume-t-il. Quant à la supposée diligence de l’armateur, l’avocat dénonce le manque de garanties sur les mesures déjà prises et surtout sur le démantèlement à venir. « On nous a déjà fait le coup », ajoute-t-il en référence à des contrats signés par d’autres armateurs de navires échoués et jamais honorés par le passé. « Aujourd’hui le bateau est sur le platier, en train de se désagréger, précise l’avocat. À tel point qu’on se demande si l’armateur ne joue pas la montre en se disant que le bateau va couler par 1000 mètres de fond et qu’on soit débarrasser ».

Lever la saisie, pourtant, le Pays pourrait y consentir à condition de garantie. Ping Tai Rong propose une lettre de garantie de 50 millions de francs fournie par un club P&I (un rassemblement professionnel qui gère, justement l’assurance de protection et d’indemnisation des armateurs) situé en Chine. Un des clubs les plus réputés au monde, précise Me Michel. « Nous n’avons pas confiance », répond Me Piriou pour le Pays, qui revoit à la hausse son exigence au vu des premières estimations du coût de démantèlement. Ce sera 320 millions de francs à déposer en consignation ou à garantir par une « caution bancaire non révocable » d’un établissement local. Ou le Ping Tai Rong 316 restera à quai. Du moins si les juges estiment la demande justifiée.

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