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Tous à l’eau pour résoudre le « mystère » de la ponte des coraux


L’association Tama No te Tairoto cherche à organiser, le samedi 18 janvier 2025 une observation simultanée de la ponte des coraux Porites Rus dans toute la Polynésie mais aussi dans une cinquantaine de pays du monde. Cette grande opération de science participative, baptisée « Connected by the reef », doit permettre d’en savoir plus sur ce phénomène prédictible de synchronisation, commun à beaucoup d’espèces coralliennes, mais qui a la particularité de se faire au petit matin pour cette variété. « Ce pourrait être la reproduction synchronisée la plus importante du monde animal », s’enthousiasme Vetea Liao.

« Tous à l’eau pour résoudre un mystère ». C’est par ces mots que l’association Tama no te tairoto veut mobiliser le samedi 18 janvier 2025, jour prévu de la ponte la plus importante de la saison pour les Porites rus. À cette date, environ une heure et demi après le lever du soleil, 90% de ces coraux massifs, qui font partie des plus grands constructeurs de récif dans le Pacifique et l’Océan Indien, relâcheront simultanément leurs gamètes dans le lagon, et quelques minutes plus tard, du côté océan de la barrière. Apparaitra donc, devant les observateurs curieux et matinaux, un épais nuage laiteux relâché par les mâles, et, de de minuscules œufs éjectés par les femelles. Un spectacle qui se répète cinq à six fois par an, cinq jours après la pleine lune, avec une apogée en décembre ou janvier.

Objectif : des observateurs dans une cinquantaine de pays

La ponte synchronisée des coraux n’est, en soit, pas un mystère ou une découverte récente : elle a fait l’objet, depuis de longues années, d’une foule de publications scientifiques, et même de rendez-vous sous-marins grand public dans certains pays, autour de différentes espèces, à des dates et heures plus ou moins prédits d’avance. Mais la grande majorité de ces espèces préfèrent la nuit pour cette reproduction. C’est Vetea Liao, biologiste de formation, qui a, au fenua, attiré l’attention, sur la particularité des Porites Rus, qui pondent, eux, en matinée, et avec une régularité calculable « à la minute près », souvent quelques heures après les espèces nocturnes. « Beaucoup de scientifiques se concentrent sur les pontes de nuit, et le matin, il n’y a plus personne à l’eau », rigole-t-il.

Sa première rencontre avec le phénomène, en 2014, se transforme, cinq ans plus tard, en sujet de recherche quand il s’avère que le rendez-vous de la ponte est le même dans plusieurs îles de Polynésie. De quoi l’amener en 2021, à lancer Tama no te tairoto, association vouée à la science participative et à la sensibilisation sur la vie dans le lagon, dont il est aujourd’hui le directeur. Au fil des ans, des échanges avec des scientifiques ou passionnés de Polynésie ou d’ailleurs, des appels aux observations bénévoles, les données se sont accumulées sur la ponte des Porites Rus, passant d’une quarantaine d’observations en 2019 à plus de 400 aujourd’hui.

Moorea, Tahiti, Raromatai, Tuamotu, puis l’Indonésie, les Seychelles, la Réunion, ou Fidji… Partout où les données sont récoltées, les pontes ont lieu le même jour, à la même heure locale, ajustée en fonction de celle du lever du soleil. Et l’association veut maintenant faire un nouveau bond en avant dans ses observations. Le projet « Connected by the Reef », vise une « observation mondiale de la ponte des coraux coordonnée depuis le fenua ». « On veut vraiment aller toucher des observateurs dans une cinquantaine de pays et territoires, dans l’Océan Pacifique et Indien (et même en Mer rouge, ndr), explique Vetea Liao. Jusque là c’était facile avec les médias locaux, mais cette fois il faut toucher des pays qui ne nous connaissent pas, ça va être un petit challenge ».

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Un masque, des palmes et une appli

Un challenge que l’équipe de Tama no te tairoto veut relever, en utilisant tous ses contacts et en misant sur le bouche à oreille de passionnés, d’ici le 18 janvier 2025. Ce samedi, la plus grosse ponte de la saison des Porites Rus est prévue à 06h57 au Costa Rica, 07h08 au fenua, 07h44 aux Tonga, 06h15. Même timing le dimanche 19 de l’autre côté de la ligne de changement de date, à 06h55 en Nouvelle-Calédonie, 08h15 à Phuket en Thaïlande, ou encore 07h21 à la Réunion, 07h49 au Soudan et 8h05 en Egypte… Des horaires calculés d’avance donc, et que les observateurs seront chargés de vérifier. Pas besoin pour ça d’appareil photo, de bouteilles ou de matériel spécifique pour participer… Un masque et des palmes suffisent, d’autant que les colonies de Porites Rus existent aussi.

« Il faut seulement pouvoir reconnaître l’espèce, savoir elle se trouve, aller à l’eau le bon jour et à la bonne heure… Et ensuite télécharger notre petite application qui va être disponible d’ici la fin d’année pour pouvoir nous renvoyer l’information, reprend le directeur. Le phénomène, en fait, tu ne peux pas trop le rater. Soit tu le vois, soit tu le vois pas, mais on mettra tout de même en place une phase de formation et d’information pour bien expliquer aux gens ce qu’ils devraient voir et ne pas confondre avec d’autres choses ».

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Publication scientifique en préparation

Les données collectées doivent permettre de répondre à « beaucoup de questions », insiste Vetea Liao. D’abord sur la réalité géographique de cette synchronisation des pontes. Concerne-t-elle réellement toutes les régions du monde où le Porites Rus est présent – c’est à dire l’essentiel des zones tropicales mondiales à l’exception de celles de l’Atlantique ? Comment se comportent les colonies à l’approche ou au Nord de l’équateur ? Y a-t-il une « ligne » au-delà de laquelle les saisons de pontes sont inversées ? Surtout, il s’agit d’avancer un peu dans la compréhension des mécanismes qui engendre la synchronisation, le vrai mystère qui entoure la ponte des coraux.

Le jeune biologiste et son association devraient, avant même cette grande opération de science participative, publier un article scientifique basé sur les données accumulées ces dernières années. « Il y a déjà beaucoup à dire », explique le biologiste, qui espère avoir les honneurs d’une revue prestigieuse – et donc onéreuse, puisque les publications et les « peer reviews » qui les précèdent sont payantes. Pour le reste l’association, déjà en partenariat avec le Cesec ou le réseau International SeaKeepers, cherche toujours d’autres soutiens scientifiques, administratifs ou financiers pour l’accompagner dans ses ambitions. « C’est aussi un peu le but du projet : on a besoin de visibilité pour aller au bout de nos ambitions », précise Vetea Liao. À savoir percer le mystère de ces Porites Rus, et au passage intéresser les îliens à leur lagon.