La décision du Conseil d’État sur le troisième mandat d’Édouard Fritch a soulevé des questions chez certains juristes et commentateurs politiques métropolitains. Et si la logique des mandats « complets » s’appliquait aux mandats du Président de la République, eux aussi limités à « deux consécutifs » ? Il suffirait alors à l’actuel locataire de l’Élysée de démissionner avant le terme de son mandat en 2027, pour en briguer un nouveau. Le scénario, développé notamment par un ancien Garde des Sceaux, reste toutefois très fragile, juridiquement et politiquement.
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Emmanuel Macron, candidat pour un troisième mandat en 2027. Il ne s’agit là que d’un scenario de politique-fiction, mais il remplit déjà les colonnes de certains médias métropolitains. L’article 6 de la Constitution, qui stipule depuis 2008 que le président de la République « ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs », semble pourtant éloigner clairement cette possibilité. Et il paraissait acquis, depuis sa réélection en avril dernier, que le chef de file d’En Marche puis de Renaissance mène son dernier mandat à l’Élysée. Sauf que le récent avis du Conseil d’État sur la capacité d’Édouard Fritch à briguer un troisième mandat a visiblement éveillé des interrogations chez les commentateurs politiques nationaux. Et si le Conseil constitutionnel suivait la même logique sur la limitation des mandats présidentiels ? Il suffirait alors à Emmanuel Macron de ne pas compléter son mandat, en démissionnant avant son terme officiel en mai 2027, pour pouvoir prétendre, lors d’un nouveau scrutin, à une nouvelle période de cinq ans à la tête de l’État.
Jean-Jacques Urvoas « imagine »
C’est la théorie que construit l’ancien Garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas dans les colonnes de L’Opinion cette semaine. « Imaginons qu’il dissolve l’Assemblée nationale, perde les élections législatives et démissionne, explique l’ex-ministre de la Justice, qui enseigne désormais le droit public dans une université bretonne. Le président du Sénat assurerait alors l’intérim et une nouvelle élection serait organisée. Comme il n’aurait pas effectué deux mandats successifs complets, il pourrait être candidat ». Une théorie qui n’a eu aucun écho chez les soutiens d’Emmanuel Macron, mais qui a tout de même été reprise, par exemple, sur BFM TV où l’on précise que la réforme de 2008, qui a instauré la limitation du mandat présidentiel dans la Constitution, a laissé un « flou », une « ambiguïté ». « Faut-il comprendre que le président ne peut pas être élu plus de deux fois de suite ou qu’il ne peut pas exercer deux mandats complets de suite ? » s’interroge la chaine de télé. Soit précisément la question qui a agité le Landerneau politique polynésien à propos d’Édouard Fritch pendant de long mois, avant que le Conseil d’État ne vienne trancher – ou du moins donner son avis, sur demande de Paris – voilà un mois.
Pas les mêmes textes, pas les mêmes juges, pas la même solution
Sauf que la question, cette fois, se poserait auprès du Conseil Constitutionnel. Et la réponse ne serait pas nécessairement la même. D’une part parce que les dispositions de la Constitution et celles du statut d’autonomie du fenua ne sont pas rédigés de la même façon. La loi organique précise bien concernant le président du Pays qu’il ne peut effectuer plus de « deux mandats consécutifs de cinq ans » (le premier mandat d’Édouard Fritch avait duré moins de 4 ans). La Constitution, elle, se limite à dire que « nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ». Cette limitation ne semble pas liée à la durée du mandat, toutefois précisée dans le même article 6. D’autre part parce que le Conseil d’État, dans sa décision sur la présidence polynésienne, s’est appuyé sur les discussions parlementaires qui ont précédé la révision du statut, forcément très différentes de celles qui ont entouré la réforme constitutionnelle de 2008. « Si Emmanuel Macron se représentait en 2027, ce serait clairement un détournement de l’esprit de la loi, pointe Paul Cassia, spécialiste de droit constitutionnel, au micro de BFM TV, tout en reconnaissant que « la formule retenue ouvre clairement à discussion ».
Des discussions purement hypothétiques, puisque rien n’indique qu’Emmanuel Macron souhaite tenter cette interprétation « maximaliste » de la Constitution pour rester à l’Élysée au-delà de 2027, comme le relève la chaine. S’il le faisait, qu’il manœuvrait en ce sens en écourtant son deuxième mandat et que, d’aventure, le Conseil constitutionnel tranchait en sa faveur, se poserait alors la même question que celle à laquelle Édouard Fritch sera confronté en avril prochain : les électeurs, eux, veulent-ils d’un troisième mandat ?