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Un moniteur et un club de plongée jugés pour le décès d’une Japonaise à Rangiroa


Un guide de plongée et le gérant de son club comparaissaient ce mardi devant le tribunal correctionnel pour homicide involontaire après le décès d’une plongeuse japonaise dans la passe de Tiputa en 2014. Pointant des négligences et le non-respect de certaines règles de sécurité, le procureur a requis 18 mois de prison avec sursis.

« Faute caractérisée » ou drame inévitable ? C’était la question qui était posée ce matin devant le tribunal correctionnel de Papeete, qui se penchait sur le décès, en juillet 2014, d’une plongeuse japonaise à Rangiroa. Un accident qui vaut à un moniteur, Frédéric L., et à un club, The Six Passengers, représenté par son gérant, d’être mis en examen pour homicide involontaire de leur cliente et pour mise en danger de la vie de son mari, qui faisait partie de la palanquée. Une qualification étayée, rappelle le procureur, par « tout un ensemble de manquements », relevés au fil des rapports d’experts, des auditions de témoins et de professionnels du secteur. Dans le détail, il est reproché aux encadrants de la plongée de n’avoir pas suffisamment pris en compte le niveau et la fatigue du couple nippon avant de les guider dans une plongée dérivante dans la passe de Tiputa, de ne pas avoir correctement vérifié leur matériel, ou encore d’être descendu plus profond que ce qu’autorise la règlementation. Pour Me Quinquis, qui a demandé la relaxe du club comme du guide, aucun de ces éléments ne peut expliquer le décès de la Japonaise.

36 mètres au lieu de 29 : « aucun lien de causalité » ?

Ce 27 juillet 2014, M. et Mme Soto, habitués des séjours-plongée qui les ont emmenés à Palau ou aux Maldives, sont effectivement fatigués. Les deux plongeurs sont arrivés la veille à Tahiti et ont immédiatement embarqué pour Rangiroa, dont les passes, et notamment celle de Tiputa, sont mondialement connues pour l’observation des dauphins et requins. Mais le couple est bien décidé à suivre son programme, serré, et donc à effectuer trois plongées dès ce premier jour de vacances avec le club The Six Passengers, qui jouit d’une bonne réputation à l’international. La première session, de bon matin, a lieu avec une des monitrices du club, qui en est aussi la secrétaire, et qui avait préalablement assuré la partie administrative de l’accueil. M. et Mme Soto, malgré leur très nombreuses plongées – 200 au compteur pour lui, 160 pour elle – ne peuvent justifier que d’une certification Padi « Open Water » – l’équivalent d’un « niveau 1 » – et n’ont pas pratiqué depuis près d’un an. La session, qui suit un parcours facile, se passe bien et le couple rembarque, après une courte pause, vers Tiputa pour une deuxième plongée, cette fois avec Frédéric L. Là encore, immersion sans accroc le long du tombant : des plongées « d’adaptation » et de « vérification du niveau », explique le moniteur, qui avait pu échanger avec les deux clients sur leurs expériences. Leur faible niveau d’anglais n’aidant peut-être pas, le guide, qui n’avait pas vérifié leur fiche, comprend au passage qu’ils sont certifiés « niveau 2 ».

La troisième plongée sera beaucoup plus chaotique. Elle suit un des parcours les plus prisés de Rangiroa : mis à l’eau côté océan, les plongeurs descendent rapidement à une trentaine de mètres, près d’un plateau où d’importants bancs de requins gris sont observables. C’est sur cette première phase que la palanquée, composée uniquement du couple et du moniteur, mais suivie de près par un autre groupe de quatre plongeurs italiens très expérimentés, descend le plus profond : 36 mètres, comme le confirme la montre de la future victime, là où la réglementation limite les « niveau 1″ à 29 mètres. « Il était clair dans le brief que nous allions nous limiter à 30 mètres », explique Frédéric. Il assure que sa confusion sur le niveau de plongée n’a pas joué : M. Soto, photographe sous-marin, serait de lui-même descendu plus bas que prévu, pour capturer au mieux les squales, obligeant le moniteur – et donc Mme S. – à faire de même pour aller le chercher. Un des experts relèvera que cet écart a pu jouer sur le niveau de stress de Mme S. Inimaginable, pour Me Quinquis qui insiste : « aucun lien de causalité n’a été établi«  avec l’accident « survenu 16 minutes plus tard ».

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Bloquée  contre un rocher ou accrochée au fond ?

Mme S. a alors déjà montré quelques signes d’inconfort au niveau de son masque. Pas de quoi interrompre la plongée, pour le moniteur, qui dit avoir vérifié qu’elle allait bien par deux fois. La palanquée s’embarque donc dans le courant – très fort ce jour-là selon certains témoignages, « moyen » d’après Frédéric L. qui s’appuie sur les éphémérides de marée – pour traverser la passe. Les plongeurs, désormais à moins de 20 mètres de profondeur, sont propulsés, en file indienne, avec comme objectif d’atteindre un canyon dans lequel il est possible de s’abriter pour quelques minutes. Le moniteur, qui mène le mouvement y arrive le premier – « je suis guide de plongée, je dois montrer le chemin » explique-t-il – suivi de près par M. S.. Sa compagne, elle, est restée bloquée quelques mètres avant le canyon, face au courant, de telle façon que le chef de palanquée ne la voit que de dos. Il ne s’inquiète donc pas tout de suite de son état. Le groupe d’Italiens qui arrive quelques secondes plus tard, en revanche, s’en alarme. L’un d’eux dit avoir vu la plongeuse heurter un rocher, les autres la décrivent « bloquée » contre une paroi, mais « consciente ». Quoiqu’il en soit, elle a perdu son détendeur et son masque. Ils tenteront, dans les instants suivants, de lui porter assistance, l’un d’eux lui mettra même dans la bouche son détendeur de secours. Mais le courant est fort et la plongeuse ne bouge pas. Ce sera finalement Frédéric L., désormais muni du masque récupéré par un Italien, qui la prendra en charge et entamera une remontée d’urgence. À la surface, la Japonaise ne répond plus et le moniteur commence à pratiquer un bouche-à-bouche en attendant le bateau. Le massage cardiaque qui suit, puis les électrochocs pratiqués par les pompiers une fois à terre n’y feront rien : la plongeuse est décédée.

Difficile, 6 ans après, de retracer exactement ce qui s’est passé ce jour-là, dans les profondeurs de Tiputa. Les dépositions des plongeurs italiens suggèrent qu’elle a subi un choc dans le courant ou qu’elle a été retenue dans sa progression. Un crochet présent sur son gilet a-t-il pu s’accrocher quelque part ? Difficile de l’affirmer et Frédéric L. qui décrit une passe « presque plate » et « sans danger » pour les plongeurs, insiste : c’est la plongeuse qui s’agrippait elle-même au fond. Son mari, qui ne s’est pas porté partie civile et n’était pas représenté au procès, estime quant à lui que le parcours était trop difficile pour leur niveau. Frédéric L. « s’est trompé » sur leur niveau et n’aurait pas dû les guider sur ce site, affirme le procureur qui insiste aussi, comme la présidente du tribunal sur le manque d’entretien du matériel, noté par certains experts et corroborée par des déclarations d’anciens employés. Une usure relativisée par Frédéric L. et, là encore, sans lien avec l’accident, pointe Me Quinquis qui relève que l’ordonnance de renvoi exclut « explicitement » l’état du matériel des considérations à aborder. Pour l’avocat comme pour son client, c’est le masque de la plongeuse qui est en cause. Customisé, et donc lâche et non-adaptable, il aurait pu laisser passer un peu d’eau, causant, dans le courant, un début d’étouffement, une panique, et donc la noyade. 

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« Si ça fait jurisprudence, les clubs vont fermer ! »

Difficile de compter sur les autopsies pour démêler le vrai du faux : des traces ont bien été retrouvées sur les mains de la victime, mais elles étaient plutôt légères, et quand le premier légiste entrouvrait la porte à un malaise cardiaque, le suivant a limité les causes de décès à une noyade. Le procureur appelle donc le tribunal à s’appuyer sur les témoignages : la version de Frédéric L. est « contredite par tous », des règles ont été violées, le dossier « laisse une impression de flou et de laisser-aller » dans l’organisation du club… S’ajoutent des réflexion des experts sur le positionnement du tuba de la victime – sur le masque, ce qui aurait pu faire levier dans le courant – ou celui du détendeur de secours. Pour le magistrat du parquet, il y a négligence coupable : il requiert 18 mois de prison avec sursis et 500 000 francs d’amende pour le moniteur, et cinq millions de francs d’amende pour le club.

« L’accumulation d’éléments ne dispense pas d’apporter la preuve d’un lien de causalité » rappelle quant à lui l’avocat de la défense, qui dénonce une instruction lacunaire et relève un potentiel vice de forme dans l’ordonnance de renvoi. Si le gérant du club s’est montré très discret durant l’audience, Frédéric L. a tout fait pour assurer qu’il avait « respecté toutes les règles ». « Si on estime qu’emmener une plongeuse expérimentée, avec 160 plongées, dans la passe de Tiputa n’est pas une bonne chose, il faut arrêter la plongée en dérivante à Rangi, à Tikehau ou à Fakarava, lance le moniteur à la barre. Si ça fait jurisprudence (…) les clubs vont fermer !« . Le tribunal rendra sa décision le 1er juin.