Interpellé par des syndicats inquiets, le PDG d’Air Tahiti Nui Philippe Marie a expliqué, dans une lettre aux salariés, être lui-même « vivement préoccupé » par les demandes de nouvelles fréquences formulées par Air France et Delta Airlines. Et surtout par le manque de réponse de la présidence sur ce sujet, qui l’empêche de « poursuivre sereinement » la préparation du budget 2025. Les travaux ont été suspendus « jusqu’à nouvel ordre ».
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La guerre de l’offre n’est pas terminée sur le Los Angeles – Papeete. Et comme l’écrivait Radio1 courant septembre, c’est Air France, principal concurrent d’ATN sur les vols vers les États-Unis puis vers Paris, qui est à l’offensive. La compagnie tricolore, qui effectue à l’heure actuelle 5 rotations hebdomadaires vers Los Angeles à l’année, voudrait passer à 7 allers-retours à partir de la prochaine saison Iata. La demande a été mise sur la table du Pays et de sa direction de l’Aviation civile voilà déjà de longues semaines, et doit être instruite avant la fin octobre.
Même calendrier pour un autre mastodonte de l’aérien et qui se trouve être allié d’Air France – et même en « coentreprise » sur ce marché – au sein de SkyTeam : Delta Airlines. La major américaine entend rééditer l’expérience de desserte entamée sur les « hivers » 2022-2023 et 2023-2024 mais cette fois sur une période plus longue, de novembre à juin. Ce qui augure, d’après plusieurs sites spécialisés, l’installation d’une ligne à l’année.
Crainte que le gouvernement « répète les erreurs du passé »
Ces informations n’ont circulé que tardivement au sein d’ATN : le 9 septembre dernier, lors d’un Conseil d’administration qui, s’il ne portait pas sur le budget 2025, était organisé en pleine période de préparation, les demandes de nouvelles fréquences n’ont pas été évoquées. Près d’un mois plus tard, Moetai Brotherson, représentant de l’actionnaire majoritaire et directement en charge de l’aérien international au gouvernement n’a toujours pas donné de nouvelles. Et ni lui ni l’aviation civile n’ont annoncé de décision concernant les vols quotidiens d’Air France et l’installation prolongée de Delta.
C’est ce silence qui fait aujourd’hui réagir dans la compagnie au tiare, dont les syndicats ont récemment confié à la direction leur inquiétude et leur volonté de prendre à partie les autorités. Dans l’entreprise aux 33 milliards de francs de chiffre d’affaires et aux 696 collaborateurs (chiffres 2023), la crainte c’est que le Pays « répète les erreurs du passé », notamment reprochée au gouvernement d’Édouard Fritch qui avait donné le premier feu vert à Delta Airlines. Aucun doute : autoriser une nouvelle inflation du nombre de sièges alors que le marché – et le réceptif hôtelier – ne laisse entrevoir aucun décollage de la demande, ce serait accélérer la chute de la compagnie du Pays, qui a déjà accusé un déficit de 3,2 milliards en 2023. « C’est exactement ce que la Chambre territoriale des comptes avait pointé dans son rapport« , s’agace un représentant des salariés.
Cette crainte, elle est désormais officiellement partagée par le nouveau PDG. Très discret depuis sa prise de fonction le 1er juillet dernier, Philippe Marie, qui n’a jamais publiquement présenté sa « feuille de route » et ses propositions de stratégie censées être déjà formulées auprès de la présidence, a signé, mardi, une lettre adressée à l’ensemble du personnel d’Air Tahiti Nui. Il y rappelle que les demandes d’Air France et Delta interviennent « dans une période où les marchés sont déjà saturés en offre en sièges, produisant une surcapacité patente, alors même que la demande sur le marché nord-américain subit un effet de régulation après une croissance euphorique post-Covid ». Le successeur de Michel Monvoisin assure avoir lui-même été à la rencontre des autorités du Pays pour « rappeler les décisions malheureuses déjà prises il y a quelques années » et « souligner ses plus vives préoccupations » sur les décisions à venir.
« Nous ne pouvons pas poursuivre sereinement l’étude » du budget
Mais visiblement, le PDG n’a pas obtenu les réponses souhaitées lors de son entrevue à la présidence, la semaine dernière. Le flou entretenu par le Pays sur ces demandes pèse toujours sur le délicat exercice de préparation du budget 2025. Un exercice qui nécessite à la fois des prévisions de charges, de recettes et d’activité. Difficile de les établir sans connaitre l’état du marché dans l’année à venir : si des rotations supplémentaires sont lancées par la concurrence, ATN, leader de la desserte de la Polynésie, devra adapter son propre programme de vols et donc prévoir des dépenses supplémentaires ou accepter de perdre des parts de marché… Quoiqu’il arrive, il faudra envisager de nouvelles pertes, qu’il faudra discuter avec le Pays actionnaire, qui a déjà provisionné pour une recapitalisation inévitable. Philippe Marie veut être clair : « Nous ne pouvons pas poursuivre sereinement l’étude de nos recettes et de nos charges pour 2025, sans connaître, de façon définitive et rapide, la position des autorités sur ces demandes ». La préparation du budget 2025 est donc suspendue, « jusqu’à nouvel ordre ».
Le PDG évoque tout de même des travaux qui vont être menés avec les équipes de vente et de marketing, sur une « adaptation éventuelle du plan d’action commercial ». Bref, la direction générale se prépare au pire et se dit « mobilisée auprès du Pays et des autorités pour clarifier rapidement ce sujet ».
La lettre, bien sûr, n’a pas de quoi rassurer les syndicats, dont certains se disent déjà prêts, eux aussi, à se mobiliser. Première étape : une lettre qui doit être adressée à la présidence pour exiger des explications sur le sort des demandes de nouvelles fréquences… Et sur la stratégie de Moetai Brotherson pour la compagnie du Pays. Depuis sa prise de fonction, le président a insisté à de nombreuses reprises la nécessité de « réinventer » ATN, dont le modèle serait en bout de piste. Mais hormis quelques idées non confirmées – la suppression de certaines lignes, l’entrée d’un nouvel actionnaire… – le flou reste complet sur la stratégie qu’il souhaite adopter. Et que Philippe Marie est censé développer et appliquer.