LE POINT DE VUE DE – Laurent Joly, spécialiste de la Seconde Guerre mondiale et de l’antisémitisme, démonte les affirmations d’Eric Zemmour et Jean-Marie Le Pen sur le régime de Vichy.
Dans son dernier ouvrage, « Le suicide français », Eric Zemmour affirme que le maréchal Pétain aurait sacrifié des Juifs étrangers mais protégé les Juifs français. Une sortie qui a entraîné une vague de protestations dans l’ensemble de la classe politique. Seul Jean-Marie Le Pen a volé au secours du polémiste, lundi matin sur BFMTV : « je crois que Vichy a fait ce qu’il pouvait pour essayer de défendre les Français contre un horrible malheur », a estimé le président d’honneur du Front national. Contacté par Europe1.fr, l’eurodéputé FN Bruno Gollnisch ne dit pas autre chose : « C’est une évidence que Vichy a sauvé des juifs. Certains ont eu la vie sauve grâce à leur passage en zone libre. »
>> Europe1.fr a sollicité l’historien Laurent Joly (photo ci-dessous), spécialiste de la Seconde Guerre mondiale et de l’antisémitisme.
Pour Éric Zemmour, Philippe Pétain aurait sauvé des Juifs en France en sacrifiant « les Juifs étrangers ». Qu’en est-il vraiment ?
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D’où vient cette théorie avancée par Eric Zemmour ?
Dès 1942, puis en 1945 durant son procès, c’est la justification de Pierre Laval. C’est l’argument de la « pression », du « sacrifice » et du « sauvetage » qui, je le répète, ne tient pas. Revenons à la chronologie des évènements. Les défenseurs de Vichy et certains historiens affirment que les grandes rafles de l’été 1942 auraient de toute façon été exécutées en zone occupée, en application de la convention d’armistice, et qu’elles auraient frappé plus de monde. Mais cet argument est faible. La demande allemande – arrêter brutalement des femmes et des enfants pour les envoyer on ne sait où, dans des convois de fortune – outrepassait manifestement les termes de la convention et de toute la réglementation internationale en vigueur. Les moyens de s’y opposer étaient donc loin d’être nuls. Vichy pouvait dire non en 1942. Il y a, à cet égard, un exemple imparable. À l’été 1943 Vichy refuse finalement d’ordonner à la police parisienne l’exécution d’une vaste rafle de Juifs préalablement dénaturalisés. L’opération, véritable remake de la rafle du Vel d’Hiv’, est tout simplement annulée ! Les Allemands ne prennent pas prétexte de la convention d’armistice pour l’imposer, directement, à la police française. En 1943, 17.000 juifs sont déportés, alors qu’ils étaient 42.000 en 1942…
Et pourquoi, d’après vous, Eric Zemmour la ressort-elle aujourd’hui ?
Je l’ignore. Dans un livre précédent, Eric Zemmour défendait déjà un point de vue similaire sur la politique anti-juive de Vichy, qu’il conforte dans son nouveau livre par une charge personnelle contre l’historien Robert Paxton. Mais contrairement à ce qu’il affirme, il n’y a pas, pour les historiens, de « doxa » paxtonienne. On discute ses thèses, on les nuance – par exemple sur le premier statut des juifs d’octobre 1940. Je crois que ce qui doit faire réfléchir ce n’est pas que Zemmour ressorte ses thèses aujourd’hui – elles ressortent périodiquement depuis 70 ans – mais pourquoi ce sont précisément celles-ci qui, dans son livre, font polémique. La raison semble qu’il y a aujourd’hui une sorte de consensus moral, civique, pour condamner les crimes de Vichy. Les excuser, les justifier, c’est finalement donner une légitimité à ce type de politiques, y compris pour l’avenir. Et c’est ce qui paraît insupportable dans les propos de Zemmour ou de Le Pen père et explique les réactions passionnelles qu’ils suscitent.
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